NOUVELLES DU CIEL

J’offre mes yeux entrouverts à la nuit Un iris m’éclaire de sa lumière mauve Ma main d’écriture cherche hasard les fleurs egarées dans les livres-bougies

Chères lectrices-lecteurs plutôt que de payer vos chagrins d’amour Lisez les poèmes chargés de vous donner des nouvelles du Ciel Jamais du Monde

QUELQU’UN QUI PARLE DANS LA NUIT


Quelqu’un qui parle dans la nuit
En lisant des poèmes qu'il se donne l'illusion d'écrire
Que personne par conséquent n'a jamais lus

Des poèmes à qui il voudrait faire un sort
Et qu'il donne en pâture sur sa page
aux mots fourmis aux nuages à l’oubli

On ne saura jamais se dit-il qui les écrivit
Divisé mécontent sans espoir
Ou bien Uni dans la joie en chantant

Quelqu’un (croiront ses lecteurs peut-être)
Qui voulait renouveler le monde
De sa belle Utopie

Multipliant les mots de passe
Amont aval remous regrets
Remords râle gazouillis

Quelqu’un qui passe et disparaît
Quand tous les morts sont partis
Au grand bal des poésies

POUR VINGT LECTEURS

Est-ce que pour vingt lecteurs (lectrices comprises) j’écris en vain?
J’écris quand le temps semble s’arrêter pour voir ce qu’il en est ce qu’il peut en sortir :
la vérité au fond du puits du jardin familial quand j’étais enfant
le hasard aboli par un coup de dés magistral
les tourments d’un copiste qui refuse obstinément de faire une page supplémentaire
le silence catégorie d’une langue s’opposant au bruit du temps
la lecture de quelques passages de la bible d’un auteur hébraïsant le français
l’univers des quantas qui s’organise en se désintégrant
En bref tout ce qui dans mon inconscient a précédé cet écrit de fortune
J’aimerais bien que mes vingt lectrices (lecteurs compris) poursuivent cette liste mais je sais d’expérience que c’est trop leur demander
Qu’à cela ne tienne la plume en l’absence ça me connaît

PAS D’ALLUMETTES

Fais court m’as-tu dit
Ça tombe bien
Tu ne vas pas être déçue
Évidemment
C’est pas terrible
vont penser certains lecteurs
Terrible ?
Le Monde l’est bien assez
Titre du soir :
Pas d’allumettes !
« La très grande majorité des bureaux de tabac affichent contre la glace de leurs portes ces simples mots : Pas d’allumettes !"

Le Monde 27 mars 1945