Légèreté, Rapidité, Exactitude, Visibilité, Multiplicité.

AIDE-MÉMOIRE

 Qui sommes-nous ? Qu’est chacun de nous ? Sinon une combinaison d’expériences, d’informations, de lectures, de rêveries ?              Italo Calvino

Moi, je, toi, tu, il, elle ; on pourrait aussi bien dire nous, si déjà ne se nouent la gorge et le cœur des absents. Pages arrachées de ce livre que nous avons l’outrecuidance de fabriquer jour après jour. D’autres nous-mêmes disent que tout ça les dépasse et qu’ils ont délégué leur page quotidienne à qui-vous-savez, qui a déjà balisé leur destin de A à Z.

Moi, je, une constellation qui parfois s’accointe et parfois se chamaille, des hauts et des bas, des traversées de désert et des eaux de l’Eden bues à même leurs sources.

Toi, tu, il, elle, qui s’ajoutent et nous permettent cette nage bienfaitrice loin de nous dans la bienheureuse multiplication des identités.

Ainsi  les invectives contre l’io io ! il piu lurido di tutti i pronomi ! « le moi, je !…le plus ignoble de tous les pronoms ! » ce petit pou que nous grattons et qui nous empêche de penser, nous dit Gadda.

Ou bien, mais il faudrait aussi retranscrire la langue de l’Homme sans qualités, l’appel à l’humanité seule capable d’envisager toutes les solutions quand toutes solutions individuelles sont insuffisantes et fausses.

Moi, je, toi, tu, il, elle ; on se noie mais on s’accroche, on multiplie les combinaisons possibles, et des chemins qui bifurquent on est déjà revenu de « pas mal ».

Aucun ne débouche, en fin de compte, sur une béatitude personnelle ; mais le chemin lui-même s’apprécie jour à jour, nuit à nuit, dans les formes et les couleurs du désir d’y naviguer au mieux.

Pour l’heure présente et pour le jour qui vient, moi-je ai inscrit comme aide-mémoire, sur chaque doigt de ma main gauche un de ces mots légués, à la fin du siècle précédent, par un amoureux des littératures :

Légèreté, Rapidité, Exactitude, Visibilité, Multiplicité.

signé Italo Calvino 

J’ÉCRIS opus 7





J’écris léger très léger encore plus léger
et sans la moindre hégémonie

J’écris en lisant ici et là 
(cette nuit Lamartine reprenant le terme de gémonies)

J’écris az-zhar’ (le coup de dés) et nécessité :
nécessité de ne pas étaler sur ma page
le big bazar de l’écriture

J’écris nu évitant de poser
J’écris retenu 
mais pas trop tout de même
et pas toujours

J’écris amusé de partir (partager)
les vrilles et les sucettes,
la biberine et les cacahuètes

J’écris à la margelle d’un puits
où l’on s’assied pour dire adieu
comme l’on dit bon jour 
dans mon village d’Occitanie
au premier vivant qui passe

J’écris comme Butor (Michel)
malgré les bombes
et malgré ceux qui font la bombe
dans un monde à bout de souffle,
et de ressources climatiques, biologiques,
démocratiques…

J’écris Voici des fruits, des fleurs,
des feuilles et des branches


J’écris Green de Paul Verlaine


Voici la poésie
Qu’on assassine



SOIS LE LÉGER L’AILÉ

fragment sur papyrus
attribué à Callimaque 




la victime du sacrifice

doit être aussi grasse que possible

mais toi garde la muse mince

sois le léger l’ailé

fragment d’un poète grec de l’Antiquité





avec ironie avec tendresse

tu te lances dans cet exercice

sans fin dans ta petite église





avec ironie avec tendresse

il n’y a ici ni curé ni croix

ni dieu qui te terrorisent





avec ironie avec tendresse

tu écris sautillant méditant

sur l’étrange étrangeté

qui t’assiège





avec ironie avec tendresse

tu remues ciel et terre

avec ta petite pelle d’enfant

de trois pommes

et d’un scoubidou









avec ironie et avec tendresse

avec amour qui se lit amor

au croisement de deux langues

à contre sens





avec ironie avec tendresse

léger légère légèrement





avec ironie avec tendresse

petites fourmis prêteuses

des eaux et forêts

des arbres de lumière





avec ironie et tendresse

tes lignes passent

et repassent

au croisement de chaîne

et trame





avec l’armure fragile

d’une recherche

qui restera inévitablement





inachevée