MAIS D’OÙ TU PARLES ?





À pas de chat, je me glisse dans la conversation infinie transmise par un petit livre bleu (pour la couverture), comme « un bleu », qui ayant l’illusion d’y participer, se laisse porter par le courant de sympathie qui en émane.

Je me souviens de la formule rituelle de Mai 68, où dans une ville sans auto, on causait à tout le monde dans des assemblées de fortune, aux quatre coins des rues, des places, des amphis. Il n’y avait pas un intervenant à qui on demandait, tout de go : Mais d’où tu parles ?

Je parle d’un lieu mystérieux à plus d’un titre, une chambre aux murs blancs, traversée d’ondes venues du royaume « des voix chères qui se sont tues ».

Je parle dans ma tête avec les vivants bien vivants, avec qui nous échangeons nos écrits et chuchotements, nos annonces, nos petites nouvelles du front de mer, où passent et repassent pour l’éternité, les jeunes filles en fleurs.





italiques : Verlaine, Marcel Proust.

(UN DICTIONNAIRE À PART MOI) texte en cours

MAIS D'OÙ TU CAUSES? 

MAIS D’OÙ TU CAUSES Quichotte  Don Quijote ? /en un lugar de cuyo nombre no quiero acordarme /(bis)Mais d’où tu parles Charles ? de quelque part comme on disait à l’époque qui prenait feu de toute  part Mais d’où tu jactes Jean Jacques ? : mais du pavé et du ruisseau Rousseau /où passe (ter) mon beau navire ô ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir au bord de l’agonie /ô ma folie (bis) Mais d’où tu cornes tes gazelles tes licornes sorties des grimoires entassés dans l’armoire de hêtre et d’où tu dictes tes paradigmes perdus des champs de magnésie ? Mais en ce lieu d’utopie Lily /dont le nom m’échappe à jamais (bis)

MAI 68 Ç’AVAIT ÉTÉ UN AUTRE TEMPS





68 renversé c’est 89





Ç’avait été un autre temps

Le temps des cerises si vous voulez

Ç’avait été le temps

Celui des cadences rompues

Et des rougeurs au front

Dix ans qu’on s’était rien dit

Bonjour bonsoir ça va ?

Dix ans qu’on s’était laissé attraper

À notre transistor

À notre bagnole

À notre Gogole

À la femme qui veut une machine à laver

Au tiercé

Dix ans qu’on achetait achetait achetait

Dix ans qu’on consommait consommait consommait

Ç’avait été le temps où revenait le goût de ce type

qui rit qui gueule qui en a marre

et qui le dit

Le goût de l’homme

Et de la femme qui veut se libérer

Ç’avait été le temps de la Fraternisation

Vous entendez ?

La Fraternisation





un poème écrit au vif de Mai68

et aussi (de mémoire)





Nous allâmes aux fêtes de Mai

L’âme agitée d’une joie sans pareille

Nous allâmes aux fêtes de Mai

Jamais nous ne serons les mêmes





MAI 68
encres acryliques
Dorio
14 mai 2020

MILLE ET UNE MANIÈRES D’ÉCRIRE UN POÈME

écrire un poème sur le cornet à dés

de Max Jacob

jamais n’abolira

Stéphane Mallarmé





écrire un poème est décourageant

c’est comme la pipe de Magritte

qui n’en est pas une





écrire un poème est excitant

c’est un ours qui danse

sur la place du village

de ton Ariège natale





                                                               écrire un poème à deux heures du matin                

est – vous l’aviez remarqué – un alexandrin





écrire un poème

lancer sa toupie et la regarder

jusqu’à ce qu’elle cesse de tourner





écrire un poème

entre deux stations de métro

c’est un exercice de style

Oulipo





écrire un poème à l’encre de Chine

c’est bien mieux

que l’écrire à l’encre bleue





écrire un poème en mai 68

avec une bombe crachée sur les murs

c’était  jouissif





écrire un poème c’est fortuit

fort de café

et bouteille à l’encre





écrire un poème

c’est une prière

d’insérer





écrire un poème

c’est sauter à la corde

dans une bibliothèque en feu





écrire un poème

ça ne s’invente pas

c’est la fable du chêne et du Queneau





écrire un poème sur un horizon

où les chiens aboient

c’est du Lorca





écrire un poème pour ma fille aînée

à Louise Michel

et pour ma cadette

à Manhattan





écrire un poème

taratata

turlututu

mirlababi
surlababo






écrire un poème

mais jamais le même

ça t’en bouche un coin





écrire un poème au lit

que personne ne lit

en comptant ses pieds





écrire un poème

qui aie de vous merci

a dit Frère Villon

avant d’être pendu





écrire un poème sur le livre

De ton ancien professeur de Rhétorique

En mangeant des éclairs au chocolat

(on dirait du Pessoa)





écrire un poème à la terrasse des cafés

sur un carnet à ressort

ça tu l’as mille fois fait





écrire un poème quand les voix résonnent

dans la tête de la danseuse espagnole

                                                                                     que Miró épingla            





écrire un poème de ton bras zéro

longtemps tu hésites entre trois mots

l’onyx ? les nixes ? Madame X ?





écrire un poème

dans la caverne de Platon

le mythe du poète

chassé de la Cité





écrire un poème

qui rêve d’un papillon

ou de Tchouang-tseu





écrire un poème sur le piano du pauvre

les blanches et les noires

autour du cou

la chanson guimauve Toscanini s’en fout

chante Léo Ferré





écrire un poème

sur la photographie de Verlaine

tu te souviens des jours anciens

et tu pleures





écrire un poème

 sur l’origine du monde

un enfant nous est né !





écrire un poème

sur le toit tranquille

où marchent des colombes

ce n’est pas l’écrire

sur le livre de l’intranquillité





écrire un poème

en jouant aux billes

au jeu de barre

à l’enfant mélancolique

perché sur ses nuages





écrire un poème

inachevé

et que n’ai-je l’éternité

pour le terminer





6 août 2019

9.45





Noms propres (par ordre d’apparition)

Max Jacob Mallarmé Magritte Ariège Picasso Pierrot  Queneau Lorca Louise Michel Manhattan  Villon Léo (Ferré) Valéry Pessoa  Miró Platon Madame X Tchouang Tseu Toscanini Verlaine etc