MA VIE À MOI

MA VIE À MOI à toi à tu Ma vie parlée et ma vie tue Ma vie l’esprit débordant du cadre de mes photographies (du bébé joufflu au dernier portrait que m’aurait fait Nadar allongé dans mon plumard) Ma vie rêvée l’ai-je bien fantasmée ? Ma vie d’un « je » ouvert par la littérature d’un reclus célèbre couchant sur le papier les vies de personnages de salon qui se croyaient immuables quand tout leur monde était en train de disparaître Ma vie à moi écrite en maints poèmes sur les ardoises du toit Ma vie donnée dans l’abécédaire d’un dictionnaire à part moi Ma vie du vieil homme et la mer Ma vie de Montaigne à sauts et à gambades Ma vie délibérément anachronique « vie fugitive » « vie devant soi » Ma vie de vieux muet assis dans le métro lisant le capitaine Fracasse en bande dessinée Ma vie croisant ces mots de l’auteur de la vie mode d’emploi : « Un père éternel » réponse « Lachaise » Ma vie de bâtons et de lettres disparaissant dans des cartes et feuillets noircis en secret entre soi et soi entre moi noir chevelu et moi blanc dégarni Ma vie et moi et toi ma conscience de l’instant qui vient séance tenante m’en libérer

UNE VIE ORDINAIRE en mille et un fragments

en cours d’écriture

COMME SI

Comme si pour qu’un texte soit fort il doit subir avant sa publication beaucoup d’effacements

Comme si pour qu’un texte soit faible il doit couler de source

Comme si un texte sans les mains d’encre qui le portent n’est rien qu’un papier vain

Comme si humainement poétiquement parlant un texte chatgpt est nul et non avenu

DES PAGES SOUS LA MÉMOIRE ARDENTE D’UNE ÉCRITURE



Comment un livre de poèmes a engendré l’écriture de ces pages

À RAS
Jean-Marie Corbusier
Edition Le Taillis Pré
Décembre 2023


J’ai lu une fois À RAS le dernier opus de Jean-Marie Corbusier sans prendre la moindre note.
Toutes ces pages, une à une, et aussi la lecture des pages en vis-à-vis, qui procurent quelques « chocs verbaux » salutaires.
Puis, relisant, « à sauts et à gambades », j’ai effacé le côté désespérant de certains passages (Chanter/dans le vide des présences/faire semblant),
pour m’attacher au côté « allant », stimulant (Le mot frappé d’innocence/ défait à l’usage/ je l’aurai traversé).
Et puis soudain, surtout, la disposition et le rythme de chaque page m’a inspiré.
Je me suis souvenu alors du meilleur Éluard 1 et me suis lancé à mon tour dans une écriture, page à page,
« où la mémoire ardente se consume, pour recréer un délire sans passé » 1

1 Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. Les poètes ont toujours de grandes marges blanches,
de grandes marges de silence où la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé.

Paul Éluard

Cher Jean Jacques,
Merci pour ce montage poétique qui rassemble où les poèmes se donnent les uns aux autres dans leur humilité respective.
Les poètes ont trop tendance à se figer dans leur moi et leur solitude.
Ici, tu les obliges à sortir d'eux-mêmes, à s'aventurer vers l'autre, le différent et le même.
Amitiés.
Jean-Marie Corbusier


1

JE ME SUIS PERDU
cette nuit
corps et âme

Aussi j’ai besoin
de l’écrire

de faire
cette expérience
de pensée

Sur la page
d’une tabula rasa

À ras
Pour repartir
d’un bon pied

2

Ce que j’écris me précède
Jean-Marie Corbusier
À Ras

CE QUE J’ÉCRIS
me renouvelle

m’éparpille
m’étincelle

Mais la page
veille

Son rythme
Sa présence

Sa passe
Son transfert

Et l’appel
des marges

3

Sans me retourner
Jean-Marie Corbusier
À Ras

SANS ME RETOURNER
le passé aboli

les pas d’Orphée
mais sans les cris
d’Eurydice

Ma lyre est
ma guitare sèche

d’où sortent
des chansons

enregistrées
au Petit Mas

Mes pages
de partitions
multiplient
les accords renversés

et battent toujours
la chamade

4
NOS QUOTIDIENS
passent
peu ou prou

dans l’indifférence
ou l’échange vif

le feu en nous
ou les contes glacés

une page blanche
ou quelques paragraphes
posés
sur nos journaux intimes

5
LAISSEZ-VOUS BERCER
par cette page

Elle est à naître
je le sais bien
Mais vous l’adresser
Facilite son écriture

Vous la lirez
à vos moments perdus

Et puis la page
Essaimera
Ou redeviendra
blanche

6
MARQUER SON TEMPS
sur une page
où l’on ébauche
un poème

une esquisse
comme celle d’un sourire
dit-on

sans hâte
et en silence
et sans prise
de tête

sauter
de ligne en ligne
sans fin


7

JE T’AI À L’ŒIL
me dit
la page blanche

une voix intérieure
intimidante

à l’œil ?
mon œil !

lumière blanche
lumière noire

un éclair
et ma page
elle n’y voit
que du bleu


8

IL FAUT RECOMMENCER
Autour de minuit

Échanger nos silences
Par une page
Écrite en aveugle

Noter
Au plus profond
De soi

Ces quelques minutes
Où l’on parle au papier
Comme si l’on y croyait
Pour l’éternité

9

OÙ RESPIRER?
Mais dans le poème

Aérien
Libéré
Des tracas
Et des peines

La main
Sur le papier

La page écrite
Pour durer

Ou disparaître

10

ICI

C’est aussi
ailleurs

« En Arles
Où sont les Alyscamps »

À Montmartre
le soir

Dans la demi-brume
A Londres

Ici

Sur les pages
d’une anthologie
personnelle

Où l’on prend garde
de ne pas succomber
à la douceur des choses 1


1 Paul-Jean Toulet


Martigues dimanche 17 mars 2024


11

J’ÉCRIS AUX AURORES

à jeun
dans mon lit

Une mésange
vient frapper
au carreau

Quelle nouvelle
m’apporte-t-elle
de bon matin ?

J’imagine le pire

Mais sur ma page
« poussière de lune »

J’écris :

La journée sera belle

Vendredi 15 mars 2024 8h08


12

UNE DERNIÈRE PAGE

Apaisée

La forme
avec joie épousée
s’est peu à peu
épuisée

Inutile dès lors
de se triturer
les méninges

d’ajouter une pièce
dans la machine
(à faire ces poèmes
à ras bord)

On ferme

Martigues samedi 16 mars 2024