JOURNAL DE NUIT

JOURNAL DE NUIT

Des fois, ou plutôt Quelquefois, ou encore, par esprit de contradiction, Toujours, on se lance dans une phrase, par pur plaisir de s’y lancer, comme l’on court d’un coup, ou plutôt tout à coup, poussé par on ne sait quelle mouche, piqué pourrions-nous dire, par le taon qui excitait Socrate, ou plus modestement les bœufs qu’un certain père, le mien, joignait jurant quelques mille dious de remille dious, sur les quatre heures d’une journée exceptionnellement caniculaire qui ne pouvait laisser les bêtes en place, malgré dentelles qui étaient censées protéger leur mour, museau, qui à l’instant vous suggère quelques autres vocables en file, tels muse, musette, musaraigne, ces deux derniers mots, vous venez de le découvrir, ayant été synonymes, de mus souris et de la venimeuse araignée, que l’on vous a fait associer dès la plus tendre enfance aux formules magiques opposant celle du soir espoir, à celle du matin chagrin, quant à la nuit, en cet instant précis, quatre heures cinquante-six, vous pourriez ajouter, par exemple, araignée de nuit s’enfuit…et là, la phrase, pour autant qu’il s’agit d’une phrase, se casse, s’éparpille, perd son souffle initial et va se pointillant…. n’est pas asthmatique qui veut se dit-on souriant, ouvrant gaiement les guillemets, un jeu d’enfant avec la machine savante dont nous disposons depuis le début de notre course à la phrase-échalote : « Il y a des asthmatiques qui ne calment leur crise qu’en ouvrant les fenêtres, en respirant le grand vent, un air pur sur des hauteurs, d’autres en se réfugiant au centre de la ville, dans une chambre enfumée », et d’autres, aurait pu ajouter ce prosateur hors pair, en composant des phrases sans fin, qui se tournent et retournent, ligne à ligne, vers à vers, telles ces raies du labour, inlassablement tracées le jour durant, par ce fier paysan, guidant droit ses bœufs, encore eux, et dont la surface labourée de l’aube au crépuscule s’appelait un journal.

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QUENEAU Y YO

QUENEAU ET MOI  

Je reviens à l’enfant que nous fûmes Queneau et moi

Lui naquit au Havre un vingt-et-un février en mil neuf cent et trois (signe astrologique : Poisson)

Moi à La Bastide de Besplas (Ariège) dans la chambre de mes géniteurs le vingte- quatre mars mil neuf cent quarante et cinq (signe astro : Bélier)

Ses père et mère étaient merciers

Les miens petits paysans

Petits car s’ils possédaient leurs terres c’étaient quelques arpents

On le mit en nourrice qui lui tendit ses seins

Ils allèrent acheter une vache aux mamelles abondantes mais qui hélas me provoqua forces chiasses

Son père débitait des toises de soieries des boutons de l’extra-fort et des rubaneries

Le mien labourait ses champs du terre-fort semant orge (pommelle) et blé, plantant maïs, soignant sa vigne (de madame, c’était son nom) élevant quelques vaches qui procuraient du lait que les villageois venaient quérir le soir avec leurs pots

C’est ma mère qui à la louche les servait

Elle s’occupait aussi des volailles et des couvées

La mère de Queneau (sa « pauvre mère » dit-il allez savoir pourquoi ?) avait une âme musicienne et jouait du piano

Il était fils unique

Comme bibi

Et comme moi encore il alla à l’école apprendre Bâtons Chiffres et Lettres

Dans un livre qui a pour titre les quatre mots précédents Queneau se soumet à un entretien à la question « Comment avez-vous commencé à écrire » il répond : « J’ai commencé vers cinq ans je crois et il en résulta des bâtons et des pâtés…et puis, comme un certain nombre d’adulte, j’ai persévéré. Il m’a fallu de la persévérance, parce que quand on a publié mon premier poème dans une revue, je devais avoir dans les trente-cinq ans. »

Moi j’en avais trente et ça s’appelait Papiers hygiéniques il y avait huit prosèmes et l’un faisait état (je m’autocite) d’ « une petite voix de flammes et d’allumettes rouges léchant le cul des mots »  

Queneau vécut 73 ans immensément connu inspirateur créateur avec le mathématicien Le Lionnais de l’Oulipo  -« Est-ce que vous avez peur comme tout le monde ? » lui demandait le même interviouveur : L’avenir n’existe pas pour moi Je suis très imprévoyant, répondait l’impétrant

J’écris ce texte (icule) à 78 berges et nul (ou presque) ne connaît mes talents mais je n’y pense pas je poursuis l’écriture de mes proses et poèmes alternatifs ligne après ligne jusqu’à L’Instant fatal

LE BEL OCCITAN

LE BEL OCCITAN Mes parents petits paysans voulant que leur rejeton -fils unique- réussît à l’école et qu’il s’éloignasse du maniement de la charrue et de l’élevage des bovins (avec le fumier qui s’ensuit), m’ont interdit d’apprendre leur langue première, le bel occitan qu’on leur avait persuadé de nommer « patois » (c’est pas toi !) Je l’entendis quand même et je le compris mais fut incapable de le transmettre à mes deux filles : c’est ainsi que meurt une langue.

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