UN PETIT POÈME QUI NE SE VOIT PAS





« Le poème ne meurt pas d’avoir vécu; il est fait expressément pour renaître de ses cendres et redevenir indéfiniment ce qu’il vient d’être. »     

Paul Valéry





Un petit poème qui ne se voit pas    Un petit poème qui se mord les doigts

Un petit poème qui a le fou rire       Un petit poème plutôt infantile

Plutôt infantile mais qui sait profond ?    Plutôt infantile à saute-moutons

Plutôt infantile mais qui fertilise         Trois arpents de soi qui fleurissent déjà

Et l’on peut si l’on veut bien continuer          Et l’on peut sans rimes ni raisons

Sous sa cheminée souffler sur ses braises   Mais surtout s’il vous plaît sans faire de fumée

Car il s’en irait le petit poème                          Ce petit poème qui ne se voit pas…

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Tableautins à l'aquarelle
et ce qui s'en suit
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UN POÈME LÉGUÉ À JULES SUPERVIELLE





à Jules Supervielle

mort un 17 mai

il y aura soixante ans

dimanche





Ah ! fais-moi une petite place dans la lune

demandait un brin moqueur

Jules Supervielle à Jules Laforgue

Tous deux natifs

-Ça ne s’invente pas-

 de Montevideo





Cette nuit à mon tour

Je demande au premier

De me faire comme lui

Ami des grandes profondeurs





Ami de ce passage à l’acte

Où à partir de rien

Quelques mots qui bougent dans la tête

Nous voilà commençant

L’écriture d’un « poème »





On l’appelle ainsi

Ça peut toujours servir
Tout le long de nos vies

Où l’on décline

Sans trop en savoir l’ordre

le triptyque

Poèmes Poètes Poésies





Celui-là cette nuit

Je l’écris comme Jules

À la lueur d’une bougie

Couché dans mon grand lit

Dans l’immobilité





Attention très fragile

Est ce nouveau-venu

Je cache sa figure

Aux lecteurs trop hâtifs

Qui croient s’y reconnaître





Attention très secret

Un peu de nos âmes s’y glisse

Du temps qu’elles étaient enfantines

Vivant dans cette haute mer

D‘oublieuse mémoire





Voilà à peine commencé

Je juge déjà que j’en ai trop dit

Le dit le dire-lit

Je l’achève ainsi

Sans préavis





J’ai dérivé sans dérêver

En essayant de ne pas trop obscurcir

Mon propos





Il est désormais à ceux et celles

Qui sans tambour ni boute-selle

L’ont accompagné étonnés

Jusqu’à ce mot dernier

Pour qu’ils en fassent bon emploi





                                                                    ce 12 mai deux mille vingt

à deux heures pile

ÇA A TOUJOURS KÈKCHOSE D’EXTRÈME UN POÈME





UN PEU DE BLEU SUR UNE FEUILLE BLEUE

1

Ce moutard était là avec un air idiot à jouer…devinez ? du bilboquet ! Ah ! il avait enfilé dix-neuf fois la boule ! et il continuait en comptant : vingt, vingt-cinq, trente…ça ramassait le monde…

Charles Cros





Maintenant aussi il faut bien se persuader de l’inutilité de cet exercice : un peu de bleu sur une feuille bleue

C’est comme le monologue du bilboquet paru en 1877 dans la Renaissance littéraire et artistique

Un texte à pleurer de rire

Mais totalement inutile

Sauf qu’en le lisant à plusieurs

Un verre de vin à la main

On reste sur le cul

Comme écrivait crûment un autre animal littéraire

à propos d’un autre jeu littéraire plus métaphorique et mélancolique

Ma jeunesse est partie

Ma jeunesse est finie

Ce qu’il y a de bon avec les exercices d’inutilité faits avec un peu de bleu sur une feuille bleue

c’est qu’il est inutile de chercher une conclusion

la chute vient d’elle-même

et la boule d’ivoire n’a toujours pas rencontrée

le mince bâtonnet





2

Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes.

Marcel Proust





Quand votre prose n’a pas droit au chapitre,

premier chapitre ou dernier chapitre

c’est du pareil au même.

Et cependant il vous arrive d’écrire : résumé des chapitres précédents

C’est toujours autant de temps perdu mais au moins vous aurez eu un bref instant l’illusion d’avoir participé en l’écrivant la tête sur l’oreiller à sa recherche

Et d’ailleurs maintenant que vous avez projeté ce peu de bleu sur une feuille bleue

vous pouvez vous rendormir et rêver de votre mère

qui vient s’assurer autour de minuit que même couché comme chaque soir de bonne heure

vous lui avez laissé bien en vu sous la flamme de la bougie

ce petit mot

écrit avec ferveur

je m’endors





3

Je vous supplie pour signal de mon affection envers vous,

vouloir être successeur de ma Bibliothèque et de mes livres que je vous donne…

(La Boétie mourant à son ami Montaigne)





Le monde ivre nous délivre des livres

J’ai recopié jadis la formule dans un abécédaire

quelque peu délirant

à l’encre bleue de chine

sur un papier bleu d’Iran

Il y avait dans ce livre ivre de livres

de nombreux errata

Ça ne pouvait rater de la part d’un jeune homme

ou d’une jeune fille

enivré.e.s

de lettres retorses

Par exemple il fallait lire la première ligne

du texte présent ainsi :

le monde souffle et souffre

C’est d’une autre inspiration j’en conviens

et même d’une portée nouvelle

Mais l’on pourrait imaginer un long article pour montrer

que l’un dans l’autre

le monde nous délivre

des livres qui s’essoufflent





4

mais d’autres fois on pleure on rit en écrivant la poésie

ça a toujours kékchose d’extrème un poème

Raymond Queneau









Encore un feuillet bleu où la plume bleue va faire son trou de verdure

où chantent les réminiscences de vers

qui nous faisaient pleurer ou prendre le fou rire

C’était dans une école de campagne

où dès l’aube nous allions

le cœur tendre souriant

et la tête pleine de pensers nouveaux

Plume bleue plume bleue qui cancane qui cancane

Modestement et tortillant

Comme la cane de Jeanne

Morte ce matin

Malencontreusement écrasée par

Le petit cheval dans le mauvais temps

C’était l’époque de nos Genèses

Un dieu plutôt mécréant

Avait écrit sur le mur de la maison d’école :

Ça a toujours kèkchose d’extrème

Un poème

NAISSANCE D’UN POÈME

manuscrit
ce 13 avril 2020

écrit de minuit à 1h45

Mes écrits ne connaissent aucune certitude qui me satisfasse à moi-même

Aussi ne fais-je pas profession de savoir la vérité ni d’y atteindre

J’ouvre les choses plus que je ne les découvre

Pierre Bayle (1647-1706)





J’écrirai le mot fin comme arrivé au port

Cette fin n’est autre qu’un recommencement

Raymond Queneau (1903-1976)





Naissance d’un poème

C’est bien prétentieux

Alors disons d’un texte

Un tissu une pièce

Que les mots vont filer





Celui-là déjà marche

On le voit progresser

Une illusion optique

Sur cette horloge blanche

Aux aiguilles arrêtées





Ça reprend par gambades

Hésitations d’un temps

Mouvements sans boussoles

Ça fait un peu ronron

Ponge eût été ronchon





On ne sait qui l’écrit

On ne sait qui le pense

À petits vers comptés

Sans souci de la rime

Ou du sens à donner





C’est une parenthèse

Une lexie banale

Évitant les effets

Les excès nombrilistes…

Le voilà achevé





Non ce n’était qu’un leurre

Achever je ne sais

J’ouvre au hasard mes lignes

Ouvrir passer se perdre

Et ne rien regretter





13/04/2020

commencé à la main autour de minuit

dernière ligne à 01h45

recopié sur le clavier

avec deux mots changés

POUR APAISER VOS MAUX FAITES LIGNES DE MOTS

manuscrit
09/04/2020
il est cinq heures
Poème fait joujou
Avec la tendinite
Qui la nuit se réveille
Et agite sa serpette
(la suite dans un instant
mais lisez le brouillon
en attendant)




Poème fait joujou

Avec la tendinite

Qui la nuit se réveille

Et agite sa serpette





Pour mater la douleur

On s’invente des formes

Stylo entre les doigts

On creuse son chemin

Une ligne chasse l’autre

Et le sous-épineux

Va déjà un peu mieux





Comme il faut faire durer

Autant que faire se peut

son exercice

On lit au lit aussi

Quelques vers insolites

De confrères de consœurs

Passé.e.s depuis belle lurette

De  l’autre côté de la page





Une dernière strophe

Douleur s’est apaisée

On regarde sa montre

Il est cinq heures

Paris s’éveille





On finit là sa veille

On range son papier