POÉSIE POÈME POÈTE





QUESTIONS SANS RÉPONSES…OU PRESQUE





– Qu’est-ce que la poésie ?

– J’ai relevé des centaines de définitions toutes aussi excellentes qu’incertaines.

-Mais si tu devais n’en retenir qu’une ?

– Derrière une définition de la poésie, il s’en cache une autre, et par derrière encore une autre…





– Qu’est-ce qu’un poème ?

– Je ne sais pas te répondre, mais je puis t’assurer que je lis chaque jour, et depuis bien des lustres, les poèmes des autres, et que j’écris, tant bien que mal, les miens, chaque nuit.

– Que dois-je en déduire ?

– Que pour la réponse à ta question, il vaut mieux que tu t’adresses à ceux qui n’ont jamais écrit un poème de leur vie.





– Qu’est-ce qu’un poète ?

– « Hardi, beau parleur, effronté, impudent…jamais à court de paroles, un vrai renard. »

– Euh…

– Qu’elle est ta question ?

– Je te demandais si tu avais une définition du poète ?

– Oups ! Je t’ai donné un passage des Nuées d’Aristophane, que j’étais en train de répéter.

– Alors, maintenant que tu es revenu sur terre, peux-tu m’éclairer ?

– Eh bien, disons qu’un poète, réflexion faite, c’est tout le contraire.


	

IL ÉTAIT UNE FOIS ET IL N’ÉTAIT PAS





Le poème est un art du problème

Il opère longuement dans le corps

De celui-celle qui l’écrit

De ceux-celles qui après coup

L’exécutent comme une partition





Le poème est un art du problème

Dont la solution n’est jamais donnée

Pas tout à fait cela pas tout à fait cela

Entend-on murmurer dans un fragment

des Upanishads





Le poème est un art du problème

Le lieu symbolique où je fais et refais

Ce monde qui ne va pas de soi :

Aixo era y no era

Dit le conteur populaire de Majorque

Pour préparer ses auditeurs

À l’énigme du discours métaphorique





Il était une fois et il n’était pas


	

PAS DE QUOI EN FAIRE UN POÈME





Alors reste la main

la muette qui cherche

sur la portée des mots

la note juste de l’instant

Jacqueline Saint-Jean

Solstice du silence

Editions Alcyone





Pas de quoi en faire un poème

me dit l’empereur philosophe :

Écrire ses pensées chaque jour

était un de ses dadas.





Pas de quoi en faire un poème :

Bientôt tu auras tout oublié !

Bientôt tous t’auront oublié !*

*Marc Aurèle





Pas de quoi en faire un poème ?

Je sais bien mais quand même

Sans pouvoir et sans pensée particulière

J’essaie de le faire ce poème





Unique et sans chichis

Il m’oblige à déployer

Les formes imaginatives

Qui font le corps d’un texte

En perpétuel mouvement





Je l’écris ce poème

Vers le haut vers le bas

Je l’écris à la lettre

Allant de l’une à l’autre





C’est un texte plutôt

Encore à parfaire

Mais qui en sa première version

se déploie ainsi :





le fil d’amour des poèmes

que je lis et relie sans cesse

à ce que j’essaie de faire au mieux

en jetant au panier le pire





la boîte à outils de mes lectures

qui m’ouvrent à l’inconnu

à la sérendipité

au rejet des grands maîtres

de systèmes toujours mâles

et toujours dominants





le fil d’amour de mes sorcières

comme les autres*

qui ont l’art de tisser des savoirs

des délivrances éphémères

mais que d’autres espèrent-elles

prolongeront





*Anne Sylvestre


	

VERS INUTILES DE PURE POÉSIE





-J’ai besoin d’une feuille noire.

Pourquoi donc ô poète

Quelqu’un t’a-t-il maudit ?





-J’ai besoin d’écrire ce dialogue impossible.

Espèce de poisson ondoyant de sommeil.





-J’ai besoin d’une page blanche.

Le temps d’un flux sur la grève.





-J’ai besoin de ce blog où l’écriture

ne sait sur quel pied danser.

-Comme les masques blêmes du néant ?





J’ai besoin que ces lignes me déplacent.

Mets sous la clef ce poème

Et n’en parle à personne.





-J’ai besoin de dire et de contredire

ces phrases d’un monstre sacré

qui ont glissé sur la page de ma nuit blanche.

Songe effaré Tout se lève

Tout retombe Tout a flotté.









25/01/2020

23h25





en italique le lecteur aura reconnu ces « vers inutiles de pure poésie »

nommés ainsi dans la préface des Orientales





« Inutile signifie ici : n’ayant de valeur qu’en eux-mêmes,

et par rapport à rien d’autre,

et d’autant plus chargé de prix ».





Paul Bénichou

Le sacre de l’écrivain

page noire et page blanche
dans l’espace ondoyant
d’une nuit