Un poète utilise une langue qui est à tout le monde… Mais cette langue, un poète ne l’emploie pas à des fins de communication utilitaire, ou en essayant d’être compris tout de suite par tout le monde. C’est pour cela que le lecteur ou l’auditeur de poésie a souvent besoin d’une certaine préparation, dont on commence heureusement à sentir la nécessité.
L’expression poétique est toujours en évolution, ce qu’il faut, bien sûr, comprendre et admettre; en outre, elle parle de ce dont on se tait souvent dans la société, le pas vendable : angoisse, mort, bonheur de riens ou (et) bonheurs extrêmes, élans.
Ce qui constitue le fond dérangeant de la vie, quoi !
Marie-Claire Bancquart
(1932-2019)
tu lis des poèmes
ronds bien faits
sympathiques finalement
mais qui s’effondrent
au second regard
tu lis des poèmes
à mesure que tu les
récris à ta manière
tu lis des poèmes
au revoir et merci
tu lis des poèmes
trous noirs galaxies
du sang d’encre
dans du lait de brebis
tu lis des poèmes
qui n’en finissent pas
de commencer
c’est leur marque
de fabrique
tu lis des poèmes
qui t’agacent
qui te gavent
et te cavent les yeux
tu lis des poèmes
tu ne sais plus
si c’est bien toi
qui les écrivit
tu lis des poèmes
inattendus
de ceux qui ont attendu
leur dernier souffle
pour être lus
tu lis des poèmes
en perdant leur fil
ce sont les pièces
que tu préfères
tu lis des poèmes
de boue en boucle
journaux de papier
de feu et de cendres
tu lis des poèmes
une fois dernière
dans la sciure de bois
d’un cirque enfantin
tu lis des poèmes
d’insectes de gratte-ciels
de craie sur un ciel noir
de bananiers dans la neige*
*une fantaisie du peintre Wang Wei
tu lis des poèmes
couleurs d'invisible
où les yeux des vivants
respirent