JE LIS TURLUPINADES

Je lis à l’écart en catimini 
une anthologie des charabias
galimatias et turlupinades
Maintenant que mon gagne pain
C’est d’parler comme un turlupin

Je lis la leçon inaugurale
de C.L.S. au Collège de France
Ces Indiens des Tristes Tropiques
bientôt hélas tous voués à l’extinction
sous le choc des maladies
et des modes de vie
que nous leur avons apportés

Je lis un roman fantaisiste
intitulé Écrit sur de l’eau
Ah qu’il est beau le débit de lait
Ah qu’il est laid le débit de l’eau

Je lis avec l’émerveillement de l’enfant
qui reste le secret de ceux que jadis
on affublait du nom de poètes

LA PLUIE FAIT DU GOUTTE À GOUTTE


La pluie fait du goutte à goutte
Fenêtre ouverte je l’écoute
Il pleut ces lignes sur mon papier
Il pleut il pleut bergère
Il pleut 9 rue de la Bergeronnette
C’est la pluie petit patapon
La bonne petite pluie
La pluie pour les poètes
La pluie pour les Lapons
La pluie fait du goutte à goutte
Elle tombe infinie
Je referme la fenêtre
Mon poème est fini


Martigues dimanche 28 avril 2024
Jean Jacques Dorio 9 rue de la Bergeronnette


POÈMES RESTÉS AU SECRET


Sans doute la persévérance d’une voix est-elle l’unique vraie justification de la poésie.
Tout ce que la poésie peut faire, et seulement quand les étoiles sont bienveillantes,
c’est prêter des mots à nos questions, se faire l’écho de nos souffrances,
nous aider à nous souvenir des morts, mettre un nom sur les œuvres du mal,
nous apprendre à réfléchir aux actes de vengeance et de châtiment,
et aussi de bonté, même quand la beauté n’est plus là.

Alberto Manguel


les poèmes glissent dans le gouffre des nuits
les poèmes butent contre les portes des rêves inachevés
les poètes meurent dans un dernier mot resté au secret

les poèmes affrontent les fleuves intranquilles
les poèmes surgissent des voix chères qui se sont tues
les poètes se tuent à dire l’indicible

les poèmes travaillent le corps perdu des métaphores
les poèmes césurent riment et apocopent
les poètes balbutient un dernier vers de hasard ou d’azur
Ajout

Pour y voir plus clair tu fermes les yeux
Pour chanter plus juste
Pour le vers sublime de Verlaine :
l’inflexion des voix chères qui se sont tues
Pour peindre le passage
Et pour parler au papier
Comme écrivait en sa tour de Montaigne

Le prince des Essais

LES POÈTES MIS EN PRISON

Je m’amuse en rimant
Je rime en m’amusant
Je suis Charles d’Orléans
En prison chez les Anglois
Je suis Marot Clément
Entre les murs du Temple
Pour avoir mangé du lard
Pendant Carême
Je suis Guillaume Apollinaire
Tournant comme un fou
À la Santé pour une sombre histoire
De statues dérobées
Car aiment séquestrer les poètes
Les Assassins de la Poésie
Comme l’immonde Poutine
Qui aujourd’hui en Russie
Reprend les méthodes de Staline
Qui envoya les artistes crever en Sibérie

Martigues 10 janvier 2024

LES POÈTES

LES POÈTES

Pareil à un homme qui danse au milieu des ténèbres

Ainsi écrit celui dont nul ne lira les poèmes

                                        Ovide

Pour Jean-Marie Corbusier du Journal des Poètes

Les poètes sont souvent de la Revue

Éphémères fut en 1967 l’une d’entre elles

Le Journal des Poètes vient de boucler ce mois de décembre 2023 sa 92° année

Les poètes chez Littré sont « ceux qui s’adonnent à la poésie »

Et l’Émile ajoute :

« il se dit aussi des femmes : Madame Deshoulières était un poète aimable »

Les poètes du bar Le Catalan

16 rue des Grands Augustins

payaient leur repas

en écrivant un poème inédit

sur les nappes en papier

Les poètes d’avant-guerre fréquentaient Le panier fleuri un bordel sis 13 rue Grégoire de Tours à Paris

Les poètes ivres de trop de vin ne cessent de parler d’eux-mêmes afin de livrer à leurs frères humains cette image de poètes maudits « qui n’auraient pas dû naître » (sic)

Les poètes n’aiment pas l’argent : il n’a aucune valeur et doit circuler. Leur poésie n’a pas de prix.

Les poètes aiment l’insignifiance :

Il ne s’agit pas seulement de la reconnaître,

il faut l’aimer, l’insignifiance,

il faut l’apprendre à l’aimer.

Milan Kundera

Les poètes ne font jamais que semblant de mourir

Les poètes exterminés par la barbarie nazie : Max Jacob à Drancy, Robert Desnos mort du typhus au camp de Theresienstadt, Benjamin Fondane gazé à Auschwitz, André Chennevière abattu par un soldat allemand devant la gare de l’Est lors de la Libération de Paris le 20 août 1944, Saint Pol-Roux…

Les poètes Varlam Chalamov, Ossip Mandelstam, Marina Tsvetaieva : trois russes auteurs d’œuvres majeures en prise avec la violence politique de leur temps, celle de l’URSS de Staline qui les persécute jusqu’à les condamner au goulag. Une vie broyée par l’histoire dont ils témoignent chacun à leur manière.

« On raconte qu’Ossip Mandelstam, dans le camp, le goulag, de Sibérie où il a passé ses dernières années, aurait récité des poèmes de Pétrarque aux autres prisonniers. Malgré la faim, le froid, ils écoutaient, les oiseaux noirs aussi, qui s’arrêtaient un instant de tourner autour de la mort, seule libération des déportés. Dieu sait qu’il n’est rien de plus éloigné du lumineux Pétrarque que ces hommes en haillons. Mais, ajoute le poète Philippe Jaccottet qui relate cette anecdote, la poésie dans ce cas, c’était un peu comme la goutte d’eau pour un homme qui marche dans le désert, quelque chose qui tout à coup prend un poids d’infini et vous aide à traverser le pire. »

Les poètes du cimetière du Père Lachaise ; l’un d’entre eux se réjouissait avant ses obsèques d’habiter ce lieu poétique où les morts savent vivre.

Les poètes qui travaillent toutes les nuits et vont se coucher à 7 heures du matin quand le soleil fait sortir les cloportes de dessous les tuiles des toits Rimbaud

Les poètes anticipant les murs ont la parole de Mai 68 Métro boulot bistro Mégots dodo zéro un poème de Pierre Béarn en 1951

Un poète mort le 24 novembre 1947, surnommé « le piéton de Paris », a droit le lendemain à cet hommage savoureux : original, gavroche, primesautier, spontané, plein de fantaisie, de couleur, rien de compassé, de grave, d’imité, de bourgeois, en plein dans la vie, et plein de liberté. Léon Paul Fargue : le poète / Paul Léautaud : le « critique »

Jean Jacques Dorio

Martigues jour de Noël 2023

Poème en cours

Claude Brugeilles 2021