jean jacques dorio échantillon d’une écriture au galop nuit du 26/09/2022
REVIVIFIANTE VERTU
Il y a dans notre existence des points temporels qui conservent, avec une distincte prééminence, une revivifiante vertu. William Wordsworth (1770-1850)
Pourquoi je veille en lisant, en écrivant, en dessinant, en faisant des signes au pinceau qui ressemblent à du chinois et que je nomme hypnographies ? Je veille chaque nuit pour faire des points d’étape d’une vie singulière et commune, pour conserver la capacité, me remémorant d’épisodes joyeux ou hachés de douleurs, de me revivifier, fuyant l’ego, le ressassement, le vieillissement du langage de mes années perdues.
Que sçais-je ? Formule choisie par Montaigne pour se désembourber de ses croyances trop affirmées Une interrogation sous forme de « devise, d’une balance » (sic), qu’il fit frapper sur une médaille en 1576.
Que sais-je d’aujourd’hui ? Ce mot qui le premier vient de se poser sur mon papier en soufflant sur les braises du jour naissant Je sais que l’aujourd’hui commence par le bruit de ma pointe fine au verso de la couverture d’un livre de poèmes que j’écrivis de 1970 à 1975.
Que sais-je des poèmes ? Je sais que j’en ai lu des milliers dont certains (mes phares) des dizaines de fois Je sais que moi aussi, j’en ai écrit un nombre incalculable, et publié dans quelques livres et maints recueils, qui sur le moment semblaient apporter mes grains de sel, mais qui se sont dilués, avec le temps, dans l’invisible.
Que sais-je du paradis ? J’en ai produit quatre pour Encres Vives, collection Encres Blanches (tout un poème). Mais à « la minute présente » je sors de ma bibliothèque (le lieu le plus propice à l’humain paradis), le livre contenant cette longue phrase de Marcel Proust (puisqu’il faut appeler le narrateur multiforme par son nom), qui se termine par la phrase inscrite sur tous les recueils de citations : les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus. Mais les citationnistes oublient la longue phrase qui donne la saveur de cette salutaire affirmation : Oui si le souvenir grâce à l’oubli, n’a pu contracter aucun lien, jeter aucun chaînon entre lui et la minute présente,s’il est resté à sa place, à sa date, s’il a gardé ses distances, son isolement dans le creux d’une vallée ou à la pointe d’un sommet, il nous fait tout à coup respirer un air nouveau, précisément parce que c’est un air qu’on a respiré autrefois, cet air plus pur que les poètes ont vainement essayé de faire régner dans le paradis et qui ne pourrait donner cette sensation profonde de renouvellement que s’il avait été respiré déjà, car les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus.
Que sais-je de la minute présente ? Un moineau apparaît un insecte dans le bec qu’il s’efforce d’avaler et, tuit tuit, le voilà disparu et pour l’éternité.
Perdre le fil sur ces feuillets maculés de poudre Legras avec lequel Monsieur se faisait des fumigations qui loin de l’aider à guérir de son asthme le tuaient à petit feu. Valériane, cascara, trional, tétronal, fumigants qu’il vantait à ses correspondant.e.s, tout aussi drogué.e.s que lui.
Perdre le fil ? Vous plaisantez ! Le narrateur avait toujours son idée, point à l’endroit, point à l’envers, seuls l’appelaient « fouilleur de détails » ceux qui ne percevaient pas le « chercheur de grandes lois ». Et, par exemple, l’incarnation de types d’êtres chez qui « le remplacement successif de chaque cellule par d’autres a amené un changement complet et une métamorphose. »
Un fil perdu, dix de retrouvés. « Alors quoi ce livre, ce n’était que cela ? Ces êtres à qui on avait donné plus de son attention et de sa tendresse qu’aux gens de la vie, n’osant pas toujours avouer à quel point on les aimait. »
À quel point reprenant chaque nuit le fil d’un récit imité des Mille et une nuits, on avait voulu que « le livre continuât », lui ajouter encore un mot, une ligne, une phrase, une page, afin que leurs personnages continuent à vivre et à proliférer, afin que demain ils soient préservés « de n’être plus qu’un nom sur une page oubliée ».
Citations Marcel Proust préface de Sésame et les jours
J’ai passé ma vie de lecteur (de 7 à 77 ans) à fuir Proust. Et puis, allez savoir pourquoi, alors que je fêtais mes 77 printemps, je suis tombé dans la marmite de Marcel. Lors, il n’est pas un jour où je ne prends pas le temps de touiller et de trouver dans l’œuvre reine de la littérature une inspiration décuplée. Telle cette grand-mère qui dans le jardin vide et fouetté par l’averse, relevant ses mèches désordonnées et grises pour que son front s’imbibât mieux de la salubrité du vent et de la pluiedisait : Enfin on respire !