DES RÊVES

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« Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir les portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible ». C’est la profession de foi de Gérard de Nerval  qui introduit ainsi sa dernière œuvre écrite, Aurélia, commencée à la clinique du docteur Blanche (fin 1853), terminée en Allemagne au printemps 1854. « Je vais chez Rêve chercher la petite âme… », proclame le chaman Setuuma Püshaina, du clan du pécari, confiant ses manières d’opérer, à l’ethnologue Michel Perrin : « Aux chamans et chamanes les rêves disent tout ! » Retour à Gérard, qui livré à sa seconde vie « a l’impression de tout comprendre », éprouve une force et une activité doublées, une imagination lui apportant « des délices infinies ». Il ne savait pas que mettant la main à son œuvre ultime, il allait ridiculement « se pendre au réverbère. »

Rien n’était écrit travail en cours

MANIÈRE DE RÊVES

Manière de rêves images qui viennent par petites séquences déconcertantes me visiter

Il y a une baleine montée dans le métro du Trocadéro

Il y a un marcassin qui vient heurter mon auto

Il y a la lune ronde qu’une éclipse de Terre réduit à un point zéro

Il y a un gros lézard qui sort d’une nouvelle de Julio Cortazar

Il y a beaucoup d’autres bêtes de songe qu’il ne m’est pas loisible de coucher sur le papier

Le rêve d’ailleurs vient de se terminer

MES PARTS DE RÊVES

Il y a peu de temps que je me suis endormi Je viens de rêver Vagues images sur lesquelles je suis incapable de mettre des mots Ils me font faux bond Mais je n’en ai aucune frustration Au contraire en attendant le prochain endormissement Je recopie sur mon carnet des nuits transfigurées : la vida es sueño « La vie est un songe » Que es la vida un frenesi una ilusión una sombra una ficción Frénésie illusion ombre fiction : « la vie est un rêve» Gérald de Nerval prend le contre-pied de Calderón : Le rêve est une seconde vie Non « le rêve sans rêveur » mais « le rêve de rêverie » provoqué, amplifié, excédé par ce loisir de plume où l’on n’a plus pour tâche que d’imaginer Imaginer cette part de rêve qui nous permet de mieux affronter la dure réalité de nos vies

JE RÊVE

Je rêve que tu rêves d’un monde sans douleurs mais riche de couleurs et d’exercices de style

Je rêve qu’un journal a annoncé tes fiançailles avec le roi de Prusse

Dans mon rêve je te vois protester proclamant que le roi de Prusse n’est pas ton cousin

Je rêve que je te donne la main sous la neige qui tombe inexorablement pendant que tu récites les vers de Victor Hugo sur la retraite de Russie

Je rêve que je te vois les bras en l’air comme une paire d’ailes et que tu prends le métro pour Bonne Nouvelle

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« Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir les portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. » Gérard de Nerval

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L’ÉTOFFE DONT ON FAIT LES RÊVES

Are such stuff As dreams are made on
À tous ceux qui sont de l’étoffe dont on fait les rêves
À toutes celles
Qui font de la poésie la « matière ardente » de leurs Mille et Une nuits
À tous À toutes
Qui écrivent dans le noir des histoires lumineuses
Qui nous tiennent en suspens
À tous ceux
Qui sont de l’étoffe d’un livre dans lequel on entre par un coup de dés
À tous ceux À toutes celles
Qui « en temps de débâcle »
Sont de l’étoffe
Qui permet le rêve en commun
de vies dignes d’être vécues