MAGIQUE COMME UN PROFOND SOMMEIL



Magique comme un profond sommeil 1

Mais qu’est-ce donc ? Mais qu’est-ce que c’est ?
(à part ces deux ennéasyllabes)
Cette magie qui donne le change
à mes oreilles hallucinées

Je cite ces phrases ciselées
Par un lecteur hors pair qui écrit
Son roman sans cesse ajourné
Puis qui durant mille et une nuits
Comme une cloche sonne en branle
Change son existence médiocre
En une vie où tout désormais
(sorties, rencontres, invitations)
Se transforme en pages d’un roman
À la recherche du temps perdu


1 « …l’intérêt de la lecture, magique comme un profond sommeil, avait donné le change à mes oreilles hallucinées et effacé la cloche d’or sur la surface azurée du silence. »

 (allusion au fait que l’enfant est tellement absorbé par sa lecture qu’il n’entend pas parfois la cloche de l’église de Sainte Hilaire sonnant chaque heure) 


DIX-SEPT LIGNES CONFIÉES AU SOMMEIL


Confiés au sommeil
Ces mots et lignes
Les derniers d’une nuit
Où j’ai lu Proust, Vigny,
Et Madame de Staël
(Germaine)

C’est à moi maintenant
De poser les pensées
D’un sentimental
Temps à l’arrêt
Cosa mentale
À la lisière de mes fantaisies
Et du nonsense

Mes yeux se ferment
Le stylo tombe
Il est l’heure d’éteindre
Ma calbombe



SOMMEIL

Ha ! Sommeil je t’entends, tu montres en ton silence
Que la mort, non pas toi, me doit fermer les yeux.
Etienne Durand (1586-1618)


Sommeil est un pays où l’on s’enfonce
sans coup férir 

C’est une succession d’images venue de souvenirs
Où se mêlent les personnages de nos lectures
Les fantômes de nos disparu.e.s
Les fragments de notre vie réelle revisitée

Sommeil est diaprure d’un roman de soi
Que Mort effacera


LA NUIT OÙ TOUTES LES FEUILLES DE MON ROMAN SONT REDEVENUES VIERGES 26,27,28





vingt-six

LE FEU QUI PARTAIT DANS LA CHEMINÉE DE MA CHAMBRE faisait un bruit de bataille. « Il rabâchait », verbe mystérieux écrit par un faiseur d’images et de littérature. Son texte, que j’avais en main, se déployait, entre détails naturalistes (braises, tisons, cendres) et pastiche ; le feu, tel un animal turbulent, ne tenait pas en place et sans l’arme d’un tisonnier, il aurait pu sauter sur une chaise, un fauteuil, à proximité. Celui par exemple, où je poursuivais ma lecture qui avait pris maintenant une toute autre tournure. Associée à un goût de cigarette méticuleusement roulée, elle me mettait en présence de cette jeune fille sautillante et désirée, qui à la fin du roman était devenue cette mère-grand, les cheveux plus blancs que neige.

Je fermais le livre, m’assoupis dans cette chambre séparée du reste du monde et vis le dessin d’une inconnue, beau et pathétique. Blanc sur noir, il va sans dire.





vingt-sept

JE SORS D’UN MONDE PROTÉGÉ PAR LE SOMMEIL, fût-il léger, comme un vin de champagne. Un monde où durant une courte absence, j’ai échappé à la perception du réel. Je lui ai tourné le dos. Je l’ai roulé dans la farine de rêves particuliers, qui reprennent parfois, pour les modifier, la dernière histoire lue avant l’endormissement, les images d’un film du soir, regardé sur l’écran plat du salon.

Je sors d’un monde où mon propre moi ressemble comme deux gouttes d’eau à celui qu’il était la veille, mais avec des ratés : je n’arrive plus à plaquer les accords sur ma guitare, je perds le contrôle de mon automobile et me retrouve en tête à queue, je feuillette mon livre de chevet dont toutes les pages sont redevenues vierges, j’écris une lettre à la hache (sic), à la diable (plutôt), au plus délicat des écrivains, surnourri par sa mère Jeanne, aux vers de la Tragédie ou à la langue ailée de l’Odyssée…pareille aux nymphes qui nourrissaient Hercule.





vingt-huit

« TA PAUVRE VOIX BRISÉE MEURTRIE »…ainsi le narrateur fait l’amère expérience des premières communications transmises par la voix au téléphone. Sa lointaine correspondante, sa Mère, qui quand elle écrit une lettre, sait cacher en une forme maîtrisée, ses joies et ses peines, ne peut, au téléphone, donner le change ; sa voix brisée, vaincue, traduit (trahi), la perte insupportable de sa chère mère, qui l’engendra et l’accompagna, intimement, tout au long (cours) de sa vie.

Et en effet, dans ces circonstances, on croit entendre pour la première fois cette voix lointaine, sans le secours du visage aimé à proximité, les caresses des yeux, le murmure de la bouche…

Oui, c’est parce qu’elle était marquée par l’âge, que le beau visage ridé de ma grand-mère, assise au coin du feu (le cantou), éclairait cette voix qui me racontait le passé retrouvé, me donnant l’illusion qu’elle ne serait jamais perdue, comme cette voix sans personne, que posait le poète Jean Tardieu, à la radio renaissante en 1945 (la date de ma naissance)… et sur le papier.

ma grand-mère s’appelait Germaine Vidal

CE N’EST PAS SI SIMPLE





Ce n’est pas si simple d’écrire cette vie

Luttant contre le vide du sommeil

Et son trop plein de rêves





Le vivant touche au mort dans son sommeil

Éveillé il touche au dormeur.

(une traduction d’Héraclite « l’Obscur »)





Vie et vide Somme et sommeil

Plume en son « plume »

Tout poète libre penseur

Sans la musique d’un vers n’est rien





La mort n’y mord

Blason merveilleux tissé par Clément Marot





Ce n’est pas si simple mais l’on essaie

De pièces sortant du four noires et ratées

Aux belles irisées





C’est la Voie

Forgée dans l’inachèvement systématique

Et ce commencement qui n’en finit pas

L’étrange formule qui nous tient éveillé

Et nous réanime