Faute de mieux je fais des vers Des verts des jaunes des en couleur Je fais des vers d’amour de grâce Et de disgrâce sans valeur Pourtant je sue je m’évertue J’épuce les dictionnaires Mais depuis que je deviens vieux Je n’ai plus la faveur des dieux D’autres que moi sont honorés Leur chef orné de la couronne Du mol rameau d’un olivier Ci-gît JJ qui n’eut pas fame Fut fol usant en vain ses gammes Et pi mourut sans épitaphe
L’HIVER FAIT FROID
L’hiver fait froid Couché comme les poules Allez ! au page ! Un livre bien sûr Va nous embarquer Page à page Avec de temps en temps La tentation décrire Dans les marges Comme en écho Aux dents des poules Loin de la foule
COURIR LA NUIT
LA NUIT EST AU MILIEU DE SON COURS et me voilà courant les pages d’un livre intitulé -je vous le donne en mille- Modèle courant, 1comme un pied de nez aux deux sous-titres, Journal d’un coureur à pied, compte-rendu au jour le jour (ou plutôt on le verra « à la nuit, la nuit ») et Petit traité de course et de littérature1(un peu comme le lointain « Traité du Zen et de l’entretien des motocyclettes » qui lui-même faisait référence au « Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc » (n’en jetez plus !) Courir de nuit c’est mon lot sur chacune de mes pages C’est -ce fut- la pratique d’un insensé coureur, laissant, chemin faisant, son corps penser, choisir au dernier moment pour bifurquer, le chemin droit ou le chemin gauche. JE ME vois choisir et ce « je » là me semble bien problématique par rapport au « me » qui en a décidé, sans l’ombre d’une comédie. Je me vois choisir, sans avoir choisi un chemin préétabli, mais avec mon corps plongé dans les champs, les collines, la montagne et la nuit dont le ciel cosmique diffuse encore une lumière cendrée : je m’imagine courir sur un de ses rubans déroulé sous mes pieds. « Caminante no hay camino, el camino se hace al andar » Je n’ai jamais su, bien que je m’y sois essayé maintes fois, traduire ces deux vers ennéasyllabiques d’Antonio Machado. Compagnon d’écriture toi qui courais sous le ciel d’or la nuit, tu savais laisser l’initiative à ton corps qui faisait ainsi son chemin, comme moi-même, je tresse des textes où les mots vivent la nuit, tels des éphémères…
1 Alain Pudal (édtions du Haïku) 2022
ÉLOGE DES PAGURES ET DES COUPURES D’ÉLECTRICITÉ
J’écris « un jour » en pleine nuit Un jour on aura des coupures d’électricité Dans les doigts Pour y voir faudra du carbure Ou bien on écrira les yeux fermés En nous souvenant des Champs Magnétiques Logeant nos mots dans des coquilles vides Faisant l’éloge des pagures Et nous aidant des trois règles mnémotechniques Pour expliquer le magnétisme : Celle des trois doigts de la main droite Celle du bonhomme d’Ampère Et celle du tire-bouchon La pleine nuit au bout des doigts A donné ce texte peint au couteau (sans manche auquel il manque la lame) Ça tombe bien Car à présent C’est dimanche À Martigues le 22 janvier 2023
TU DEVRAIS ARRÊTER D’ÉCRIRE DES FADAISES
Tu devrais arrêter d’écrire des fadaises Qui ne parlent qu’au papier Laisser tes mots errer Sur la falaise de sable Sur le buvard de l’encrier Tu devrais ignorer Giono Qui écrivit comme si de rien n’était Avec sa main à plume le jour où sa mère mourut Quand on t’annonça la disparition subite de la tienne Le vingt-sept septembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze Tu lisais précisément Le hussard sur le toit Elle avait passé une mauvaise nuit Mais s’était habillée pour voir encore une fois Le feu du matin jaillir du bois Sur la plaque de fonte Sur le visage de mon père Tu devrais arrêter d’écrire des fadaises Qui ne parlent qu’au papier Laisser tes morts errer