DE L’IMAGINATION

L’imagination n’est pas contrairement à l’étymologie, la faculté de former des images de la réalité. Elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui chantent la réalité.

Gaston Bachelard

DE L’IMAGINATION

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Vivre sans imaginer une vie autre c’est vivoter, mais l’imagination mise à toutes les sauces sans l’expérience de sa propre vie c’est une voie sans issue, c’est tirer de la poudre aux moineaux, prendre des lanternes pour des vessies, ne pas savoir à quel clou pendre sa lampe qui éclaire nos nuits. J’imagine qu’en disant tout cela je n’ai pas aidé mes dix-sept lecteurs qui ne sont pas tombés de la dernière pluie, même si passant entre les gouttes, ils ont tout loisir d’imaginer une suite et de l’écrire en vis-à-vis, noir sur blanc.

Rien n’était écrit

(travail en cours)

J’imagine Montaigne sur le cheval du temps à sauts et à gambades
J’imagine Mallarmé remodelant sans cesse son pitre châtié
J’imagine Tristan Corbière écrivant après chaque marée sur la plage des Amours jaunes
J’imagine Tardieu monsieur Jean qui danse le tango avec la Môme Néant

J’imagine mes amis Claude et Jacqueline l’une au jardin d’Alice poussant l’escarpolette du temps suspendu, l’autre faisant et défaisant sa cibiche de papier païs
J’imagine les Images que la lecture d’un poème nous donne et qui nous touche en profondeur parce que nous aurions pu les créer
être parlant et résonnant
J’imagine sans fin tant que vivrai
tant que vie vraie nous est permise en faits et dits
en chansons en accords
Et puis est-ce nous qui imaginons
ou sommes-nous imaginés ?

LE TEMPS ET L’ESPACE D’UN POÈME

Le temps d’un poème 
Mimésis créatrice
C’est au sein du poème
Que jaillissent des images
La diction et la vision
vont de pair
Verlaine pour cela
préfèrait l’impair

L’espace d‘un poème
Le langage 
en état d’émergence
Secoue son lecteur
par sa nouveauté
C’est un retentissement
L’image poétique
prend racine en nous-mêmes
C’est du pur Bachelard

JE N’AI JAMAIS VU BÉNARÈS

JE N’AI JAMAIS VU BÉNARÈS Je n’ai jamais vu l’âme noire d’où s’échappe l’étincelle du dernier songe Je n’ai jamais vu le Gange halluciné des Indes Je n’ai jamais vu Bachelard le dormeur éveillé plongé avec ravissement dans l’éphémère barque de la nuit psychique Je n’ai jamais vu le douanier Rousseau le pittoresque ami d’Apollinaire Je n’ai jamais vu le sol jonché de mains coupées Je n’ai jamais vu le Chef des Signes de l’Automne Je n’ai jamais vu Ravensbrück la racaille hitlérienne dressée comme des chiens Je n’ai jamais vu l’intelligence et l’espérance la débrouillardise résistance de Germaine Tillion Je n’ai jamais vu les Chimères se baignant dans les eaux dormantes Je n’ai jamais vu Hugo désagrégeant le vers –brisant une à une ses barres de mesure- Je n’ai jamais vu les pyramides d’Egypte –ni celle du Mexique d’ailleurs- Je n’ai jamais vu Napoléon Je n’ai jamais vu le Nil –le Bleu le Blanc le Nihil- Je n’ai jamais vu les mouches dans les tombes royales Je n’ai jamais vu Dieu Je n’ai jamais vu le temps passer Je n’ai jamais vu les chutes du Niagara Je n’ai jamais vu Bénarès

J’ÉCRIS opus 9





J’écris pour je ne sais trop qui 
et contre je ne sais trop quoi

J’écris sur l’Azur
Et ce soleil de l’enfance

J’écris sur cet ultime vers
Tracé par la main de Machado :
Estos días azules y este sol de la infancia

J’écris pour après tant de paroles vaines
Que survive la parole

J’écris palabras, soledad, llovizna,  
en Lima :
cette pluie fine, si fine, 
un jour où Dieu était malade,
très malade,
en fin de partie

J’écris toutes les nuits
Pour ne pas laisser brûler en vain
La flamme de la chandelle

J’écris sur toutes les paroles entendues
et qui ne sont rien que du silence
si j’en crois ce poète 
qui composa son recueil
page à page
devant la casse, devant le marbre, devant la machine,
prenant une à une les lettres dans leur petit cassetin
pour les aligner dans le composteur
comme faisait son épouse Germaine
qui venait de quitter définitivement leur imprimerie
pour cause de décès

J’écris sur l’oreiller
Tant qu’il y a un peu d’espace vierge
sur ma page

J’écris à part moi
et à part ça je pourrai dire
que j’écris aux autre mois
(faut-il les orthographier avec un s ?)

Si j’écris
Est-ce pour témoigner
Est-ce pour me leurrer
Est-ce pour me concilier la bienveillance
des lecteurs privés d’images ?

J’écris un livre nouveau sous le bras
Comme celui qui vient d’acheter son pain frais croustillant

J’écris sans ambages
Préférant au bon grain
L’ivresse la folle ivraie



évocations citations Antonio Machado, Cesar Vallejo, Gaston Bachelard, Pierre-Albert Birot.


SANS LA SURCHARGE D’AUCUN SAVOIR

agenda du 01 au 07/02/2021
visage éphémère (mercredi 03/02/2021)




Lundi 01/02/2021

7h57       Écrire ici simplement. (dès que l’on ouvre l’œil du matin). Ce que sont incapables de faire « les intellectuels », écrit Marcel. Oui, j’ai relevé la phrase chez Proust. (sans commentaire). Mais ailleurs, sur d’autres terrains de jeux d’écritures, j’ai tout loisir de me perdre dans des phrases sans fin, que je parviens parfois à remettre sur pied, ou que je laisse tomber. Mais ici, sur l’agenda, oui, écrire…simplement.     

 8h07

Mardi 02/02/2021

5h25      Couché comme les poules (pas les « cocottes »), les images de la télé ne me disant rien, j’ai repris le roman de chevet (Anna K.), « posté » le poème du jour après un premier somme, à minuit : « Une fois n’est pas coutume », écrit le nouveau dans la foulée « Sans la surcharge d’aucun savoir » (c’est du Bachelard), et me voilà prêt à 5h30 à me glisser dans la nouvelle journée.

Mercredi 03/02/2021

7h48

     Lieu de savoir des rêveries. J’arpente chaque après-midi la petite plage de Fos sur Mer (il y a une grande, mais adossée au complexe industriel). Je m’arrête une ou deux fois pour tracer sur le sable des visages éphémères que je photographie. Puis c’est le molle du port à voiles, ses roches blanches qui servent d’observatoire pour découvrir un horizon de tankers, d’usines et au nord-ouest le point de fuite vers Port saint Louis et la Camargue. Hier, à 16h j’étais seul, le temps était presque printanier, la mer laiteuse me berçait, oublieuse des misères du monde en temps de claustration subie.

7h58

Jeudi 04/02/2021

8h04

J’épluche de vieux carnets, des blessures de « maux » sur leurs pages. C’était une sale année, avec sa terrible partition cancérienne. Écrire, malgré tout, était une manière de donner le change. Chants rêveurs, en clair-obscur. Mais à la fin, c’est l’obscur qui a gagné.

8h12

Vendredi 05/02/2021

7h53

«Je vais mon train », chanson de colo. J’en ai fait deux, comme petit colon (à Tarnos dans les Landes sur l’Océan),  deux comme « mono ». Une à Souillac (Lot), l’autre à Campan (au pied du Tourmalet). Épisode impossible à vivre aujourd’hui, une après-midi de chaleur orageuse, on avait fait entre deux équipes, une bataille digne de « La guerre des boutons ». Les gosses, uniquement des garçons d’une dizaine d’années, tout nus, avaient « bataillé » dans un petit torrent. Puis, dûment rhabillés, étaient revenus, en chantant « Je vais mon train Et sans me mettre en peine Je vais Je vais mon train ».

7h59

Samedi 06/02/2021

6h16

« Thumon aie, mater nux » (Eschyle Les Euménides) J’aurais aimé avoir accès à des classes où l’on apprend le grec et le latin. Mais, à défaut, je recopie et j’ai tout loisir de rêver sur les étymologies. « Inspire-moi du souffle, Ô Mère Nuit ! »

6h19

Dimanche 07/02/2021

8h02

Petit poème deviendra grand Si une lectrice lui prête vie « Si par une nuit d’hiver, un voyageur… » (Italo Calvino) Si, si, si, si…

Mais aujourd’hui les mots du poème ou de la fiction, ont quartier libre. Ils iront où ils voudront sur leur barque légère, ou s’envoleront d’un dictionnaire inédit : le dictionnaire des mots fragiles et des catharsis.

8h04