Il fait une nuit à jeter sa bibliothèque par la fenêtre
Une nuit où des calèches remplies des derniers morts d’Ukraine ou de Gaza traversent cahin-caha la Voie lactée
Une nuit à oublier
Martigues dimanche 28 janvier 2024
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SISYPHE DE LA NUIT
ÉCRIRE LE DÉTAIL LE DÉTAIL DU DÉTAIL au risque de se perdre d’esquisses en esquisses Reprises de fragments d’une perle baroque au passé composé : longtemps on s’est hasardé à confondre les états de veille et les états de rêves, leurs écarts et leurs résonances Longtemps on a tissé leurs pièces décousues et ( comme dit la chanson) On a roulé carrosse On a roulé sa bosse Telle le roc des ténèbres d’un Sisyphe de la nuit Celui que l’auteur du mythe revisité imagina « heureux » 1 Libre de colporter, dans ses réécritures acharnées, sensations et images, personnes et personnages, souvenirs réactivés dans leurs moindres détails Un lecteur créatif 2 s’est nourri de ces voix qui promettent des mondes, celles qui parlent dans les bibliothèques, et celles qui disent : c’est ici qu’on vendange « Les fruits miraculeux dont votre cœur a faim » 3
1 Albert Camus (Le mythe de Sisyphe) 2 Marcel Proust à propos de Baudelaire 3 Charles Baudelaire
CETTE DOUCE HABITUDE DE LA NUIT
Vivimos descubriendo y olvidando
Esa dulce costumbre de la noche
Hay que mirarla bien Puede ser la ultima
Borges (La cifra)
Vivre la nuit en racontant sur un bel espace blanc, (le dos d’une couverture de livre et sa quatrième), ses mille et une facéties, ses manières de façonner les rêves d’une bibliothèque inépuisable. Borges prétend que les volumes qu’elle comprend « dépassent » celui des astres ou des grains du désert de sable (il ne précise pas lequel).
Vivre la nuit en désertant l’Histoire « avec sa grande H » selon la formule assassine de Perec, en prenant le risque de suggérer par comparaison la sienne, sa propre histoire minuscule, sujette aux caprices et aux hasards, aux chaos et cahots, d’une vie que d’autres qualifient de « sans histoire ».
Vivre la nuit de ses lectures de livres sur le Temps qui ne dort pas, sous peine de mourir le jour venu, dans une phrase que nul ne comprend.
Vivre la nuit se racontant Ulysse, l’Inventif et Shéhérazade « dont la nuit 602 est la plus magique de toutes», écrit en son miroir, l’auteur du Chiffre et de l’Or des Tigres. La nuit 602 qui, naturellement, n’existe pas plus que la mille et unième, chacune étant une histoire à part qui n’a que faire de ce découpage fictif.
Vivre la nuit, mise en abyme, fondue dans ce bel espace blanc où se manifeste une énergie (le caractère shenqi en chinois), le conatus de l’Éthique, le subconscient à l’œuvre, formes entrevues qui, dans un second temps, sont susceptibles de devenir conte, récit, voire poème dédié à la Nuit.
Nous vivons découvrant et oubliant
Cette douce habitude de la nuit
Regarde-la bien C’est peut-être la dernière
» Le chiffre » (ma traduction)
https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi
COMME SI COMME ÇA fantômes de papier sur le chemin des indiens morts
Comme si comme ça
Sur le chemin des indiens morts*
Je cherche toujours mon Eurydice
Faisant le tour des jours et des nuits
En quatre-vingt mondes
Mais comme mes pas perdus
les pages de ma bibliothèque universelle
sont décousues
Il y nage un bestiaire peu commun
Dont ce matin les axolotls
Aux yeux d’or et au petit visage aztèque
Il en sort des personnages
réduits à « l’insubstance »
des fantômes de papier
Comme ce faux Perec
montant son livre d’une vie
sans mode d’emploi
C’est un monteur d’images faisant son cinéma
qui m’a suggéré ce dernier trait
Comme ça comme si
Son nom est Personne
Ou bien Monsieur Souci
*Michel Perrin (sur les mythes des indiens Goajiro)
Les axolotls m’ont été « donné » par Julio Cortázar

VERS PLUTÔT CHINOIS

Cette nuit je sors les vers
De derrière les fagots
D’un poète chinois ivre
À vrai dire je n’y comprends rien
Traduttore traditore
Leurs caractères calligraphiques
Ont disparu dans notre abécédaire
Mais je m’accroche aux branches
Au-delà des mots écrits
Je cherche la parole de celui
Qui dans son ivresse les prononça
Alors un instant vient où la lune d’hiver glisse
Sur les livres de ma bibliothèque
Au point de les transformer
en Acherontia atropos
(Sphynx tête de mort)
J’imagine qu’ils vont aller rejoindre
Les rêves d’un calligraphe inconnu
Qui me ressemble comme deux gouttes
Plus noires que la nuit
14/01/2021