J’ÉCRIS POUR VOIR LES YEUX FERMÉS

Jécris pour toi pour voir ce que tu vois les yeux fermés pour toi qui désormais ny voit plus que du bleu

Jécris pour nos aïeux, les tiens, forgerons et soudeurs du chantier naval, les miens, maniant laraire puis la charrue brabant

Jécris pour nos filles, enseignantes émérites et pour nos deux petits-enfants, une fille, un garçon, quhélas -cent fois hélas- tu nas pas eu lheur de voir naître

Jécris pour la maison adossée à la colline ici notre fière bastide qui regarde la passe maritime là-bas où tu naquis et la maison de Maxime la bleue elle aussi que tant de fois nous chantâmes ravis

Jécris pour la nuit la plus fidèle des compagnes qui me donne les braises de mots qui colorent mes pages et me tiennent éveillé

Jécris non pour « être ou ne pas être »,, mais pour « traversant les voies périlleuses » 1 peindre, comme Montaigne, le passage

1 Jean Bouchet (1476-1557)

https://www.leseditionsdunet.com/livre/un-dictionnaire-part-moi

UN PEU DE TERRE

4

Un peu de terre sur le cercueil

Un peu de terre sur le sapin

Un peu de terre épicéa

Un peu de terre et puis ça va





Un peu de terre pour la campagne

Un peu de terre pour sa compagne

Un peu de terre sur ton chemin

Un peu de terre donne-moi la main





Un peu de terre au bal champêtre

Un peu de terre valse et toupie

Un peu de terre fox trot matchiche

Un peu de terre l’homme est d’argile





Un peu de terre fourmi cigale

Un peu de terre vers à deux balles

Pour la morale

Faudra attendre Encore un peu

Dit le poète in fine

(il n’a pas osé écrire confiné)





28/03/2020

02h44

JE N’ARRIVE À VIVRE BIEN QU’AVEC LA NUIT

 
Je n’arrive à vivre bien qu’avec la nuit.
Aveugle d’abord, durant ce fameux premier somme,
où s’introduit et nous agite la folle du logis.
Puis les yeux se dessillent et l’on suit les pas du premier venu,
un livre qui nous a endormi, ou un autre que l’on va chercher
à tel endroit de sa bibliothèque,
soudain pris par la manie de le consulter à nouveau.
Cette nuit c’est Hugo,
Tous deux muets nous contemplâmes le ciel où s’éteignait le jour,
Que se passait-il dans nos âmes ? Amour Amour !
C’est le corps ma compagne, longtemps à mes côtés,
c’est son corps dont je n’apprends pas à me passer.

Puis les yeux à nouveau fermés,
je vois se dessiner « demain dès l’aube »,
le sonnet dédié à Léopoldine
dont la mort laissa trois ans, dit-on, le père Hugo,
sans plume et sans papier.
Une voix venue d’Outre-Tombe me le récite,
mais « coince » soudain sur un vers,
celui qui suit « je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps ».
Je sais qu’il est question de « pensées »,
de celles qui nous plongent, contre notre gré,
dans nos ténèbres intérieures.
 Je fais alors la lumière et mets un terme à ce texte ainsi couturé.
Par sa perte.