FILTRES À CAFÉ

C’est la première fois que j’écris sur un filtre à café brun marron
Ça m’oblige à faire des lignes courbes et d’imaginer des mots à la place
des grains de café réduits en poudre : 
Et nous les os devenons cendre et poudre. François Villon. 
Recopier des vers anciens que j’ai en tête et qui viennent au hasard de mes rêveries,
m’irriguer de leurs sens toujours renouvelés.
La main écrit, s’arrête, reprend, parle, se tait, se répète, file la métaphore, 
nous conduit au-delà de ce que nous sommes et nous ne sommes pas. 
 
Labyrinthe, parcours labyrinthique, à tâtons, j’avance et je me heurte, j’interprète, je me trompe ou je réussis, le bel hasard me guide, ou me trahit.
 
Traité des Tropes de Du Marsais, pour y voir plus clair
ou trébucher – tropezar – dit-on en Espagne.
Le tout est de se relever. Relever ses filets de voix et de manières de dire.
Arborescences, buissonnements, puis, ce rameau d’arbre effeuillé l’hiver,
par la mort de sa compagne, et qui par l’opération de l’Écrit devient cristallisation
chère à l’amour stendhalien.


 



Sans Prétention manuscrit sur papier filtre à café fond « mola » tissée
don de Michel Perrin ethnologue : Tableaux Kuna (Arthaud)

*

SANS PRÉTENTION
 
Sans prétention

Mais non sans dynamisme

.

Sans tension

Mais non sans attention

.

Sans plan préétabli

Mais non sans

materia prima

sur l’établi

.

Sans prétexte

Mais non sans texte

qui file sous les cinq doigts

de la main qui écrit

.

Sans signes

mais non sans défi

aux singes grammairiens

.

Sans savoir

Mais non sans saveurs

des mémoires de l’oubli

.

Sans poésie

Mais avec cent poèmes

appris et désappris

.

Sans prix

à la foire

des poètes couronnés

Mais non sans semences

des clous du sabotier

.

Avec le rythme des saisons

de mon petit jardin imparfait

mais jouissif

.

Sans réelle reconnaissance

Mais non sans pensées joyeuses

qui font la sarabande

.

Sans fond en apparence

Mais non sans cette forme

goutte à goutte

qui fond sur un filtre à café

.

Sans accord

Mais non sans ces coups

de raccrocs et de rabots

sur la planche du vide et du chaos
 

DON DE SOI-MÊME

DON DE SOI-MÊME, une poésie de A.O. Barnabooth où on peut lire que « la haine et l’envie meurent en moi d’asphyxie ». Le poète Valéry Larbaud inventa son nom de plume en ajoutant au nom d’une banlieue londonienne Barnes, le nom d’une enseigne de pharmacie Booth. Il expliquait que Haine et Envie ne pouvaient pénétrer le Vide qui était en lui. Où que j’aille dans l’Univers entier Je rencontre toujours Hors de moi comme en moi L’irremplissable Vide L’inconquérable Bien. Moi, dont je tairai le nom, si je ne suis pas non plus affecté par la haine ou l’envie, c’est à la Joie que je le dois. Quand je suis triste, infiniment triste, des coups cruels donnés par l’existence, j’attends que revienne le désir de vivre et de persévérer, avec et pour les autres, et en particulier les « miens » et les « miennes » avec qui nous savons étayer nos vulnérabilités : elle dit la voix reconnue Que la bonté c’est notre vie Que de la haine et de l’envie Rien ne reste la mort venue Verlaine

RÉELLES PRÉSENCES





Page dernière d’un carnet fait de Réelles présences*

Chaque texte sous forme de poèmes se déployant

sur l’espace d’une page 17×12 cm





La couverture est ornée de dessins de papillons et de colibris

reproduisant illuminés d’or et d’argent

les motifs d’une artiste hippie des années 60

Laurel Burch  qui vivait à San Francisco  serait étonnée que son nom perdure

60 ans après associé à ses farfalle et mariposas





Paradoxe des gestes gratuits brodés sur des supports divers

Présents (cadeaux) que l’on offrait volontiers

à la première étrangère rencontrée dans la rue

Comme le don d’un bouquet





Ainsi se clôt cette page dernière

de nos arts premiers





* un livre de George Steiner





Je me souviens d’avoir donné et reçu ses petites traces écrites ou dessinées

à Greenwich Village dans les années 70


	

CE TOIT TRANQUILLE (un don des dieux)

ce toit tranquille où marchent des colombes




Le don des dieux, disait Paul Valéry,

du premier vers amorçant son poème

« Ce toit tranquille, où marchent des colombes »

Mais après, son daimon se retirait,

le laissant seul penser et remuer

sens et sons, mots perdus devant sa tombe.





Tout ce qui rend « intranquilles » les poètes

qui se donnent du mal comme Personne,

Pessoa et ses hétéronymes, vivant à Lisbonne.

Il faisait du patron de son « tabac »

Un héros de papier vendant ces cigares

Comme Descartes sa métaphysique,

Ou, Michaux, le Belge, ses chocolats.





Mais je m’égare dit Fol erratique,

le Fou Triboulet blasonné

par François Rabelais.





Minuit passé, la boucle se referme,

L’espace de la page n’en peut mais,

Sens et sons ont semé leurs germes sur

« Ce toit tranquille, où picoraient des focs.»