TROIS HEURES TREIZE

Trois heures treize
Ma sœur Thérèse
La nuit est belle
Sous la chandelle
Les vers s’égrènent
Issues et graines
Voix solitaire
On ne peut taire
Cet air très vieux
Que rajeunit
Ce nouveau dieu
Qui toujours nie

Trois heures vingt
Frère Sylvain
La nuit rebelle
Blonde aux yeux noirs
Flamme éternelle
Vêtue de noir
Les vers chancellent
De purs sanglots
Le chant de celle
Partie trop tôt
L’horloge sonne
Il n’y a personne

LA DERNIÈRE CHANSON





Ce n’est pas que tu attends

quelque chose de particulier

de ce texte particulier

que tu es en train d’écrire

mais quand même…

sait-on jamais





Sait-on jamais si

un zèbre soudain surgissait

tout frais sorti

de tes encres de chine

un zèbre animal à tête d’humain

-tu vérifies la polysémie

sur l’article du Robert-





Du zèbre drôle de type

Tu passes au zéro

De ce mot

dont tu fis maints poèmes

Tu connais l’étymologie

Tournant autour du chiffre

comme disent ceux qui lisent

les messages cryptés





Zéro comme la forme

d’une horloge de gare

la gare d’un roman

dont le narrateur

essaie en vain de

parcourir à rebours

le cimetière des heures passées





Voilà comment un texte particulier

dont tu n’attendais rien de particulier

réactive la mémoire

de ta passagère du silence

ta morte bien-aimée





Zèbre Zéro Horloge

Éclats d’un temps

que l’on voudrait fixer

mais que l’on perd en route





C’est ta voix maintenant

Que tu retrouves dans un chant

Une chanson rengaine

de ton adolescence

qui sortait de l’électrophone

faisant entendre les grains de voix

du Gorille ou de Putain de toi





Tu étais un drôle de zèbre

Naïf curieux

Ouvert à tous les vents

Remettant chaque jour

les compteurs à zéro





Le texte maintenant

atteint la limite

de cette carte blanche

pliée en quatre

son espace choisi





Mais avant qu’il ne disparaisse

tu mets encore un jeton dans la rainure

Tu as sélectionné les yeux fermés

ta dernière chanson









*citation d’un roman

Si par une nuit d’hiver un voyageur (1981)

Italo Calvino





18/02/2020

c’est un poème qui a fait une dépression nerveuse

 
  
 t’imagines c’est pas rien c’est quoi alors ?
 c’est trop long à t’expliquer
  
 t’imagines c’est de l’occitan
 al lum rossèl d’una candèla censada eccartar la tronanda*
  
 *à la lumière rousse d’une chandelle censée éloignée la foudre
 Ives Roqueta
  
 t’imagines c’est chacun de tes doigts sauf l’index mis en quarantaine
 dans les caves du Vatican
  
 t’imagines c’est un poème qui a fait une dépression nerveuse*
 il n’y a qu’un pessoïen pour trouver ça
  
 *o meu poema teve un esgotamento nervoso
 Daniel Jonas
  
 t’imagines sur une malle du grenier
 un chat-huant fumant la pipe de Magritte
  
 t’imagines c’est l’horloge qui tourne dans la tête
 tranchée par la grande aiguille
  
 t’imagine une voix d’outre-tombe qui déchire le papier
  
 t’imagines tantôt la vie tantôt la mort
 et au milieu coule un fleuve noir
  
 t’imagines des lettres minuscules qui magnétisent
 ton bas de casse
  
 t’imagines c’est pas rien c’est quoi alors ?
 t’as qu’à tout relire
   

LE FEU SECRET



Faire un poème est une fête où le rituel « organise tout le possible du langage ». Ce peut-être bref, un feu d’étincelles, ou très long, interminable. On essaie, des heures entières, d’arbitrer, en vain, les conflits permanents entre « l’oreille », le son, et « l’esprit »,  le sens.

La fête finie, que reste-il, si ce n’est ce peu de grains, sur le papier ou dans le sablier d’un recueil, que l’on dit de « poésie ».

« Et nous les os devenons sable et poudre », écrivit Villon, en forme de ballade, pour ses « frères humains », s’attendant comme lui à être pendus.

Il est un autre poète, que tout le monde a oublié, qui, filant la métaphore, se vit, lui aussi, « se la couler douce » après sa mort, dans « l’horloge de sable » :

« Le feu secret qui me rongea

En cette poudre me changea

Qui jamais ne repose. »*

*Charles de Vion, seigneur de Dalibray.