COMMENT SUIS-JE VIVANT?

labyrinthe blanc sur noir

COMMENT…

suis-je vivant ?

Je suis vivant cette nuit en lisant, croisant et recopiant à la main, ce passage écrit par Marcel Proust.

« On voyait ma grand’mère, dans le jardin vide et fouetté par l’orage, relevant ses mèches désordonnées et grises pour que son front s’imbibât mieux de la salubrité du vent et de la pluie.

Elle disait : « Enfin, on respire ! »

Ce midi, en reprenant ces phrases sur le clavier de l’ordinateur, je ne puis que songer à la mienne que j’appelais « maïdine », petite femme aimant travailler, par-dessus tout, dans nos champs, souvent solitaire et des journées entières, apportant, pour n’avoir pas à revenir à midi son maigre repas, quignon de pain, une « cèbe » (oignon), un peu de charcuterie et un fruit de saison. Un voisin vivant dans une ferme « au-dessus », et faisant allusion à la couleur de son vêtement, une chemise ample, la comparait à une « toudo blanco » (une buse blanche).

Ailleurs, je l’ai écrit autrement : Ma grand-mère Germaine restait quelquefois toute la journée dans les champs Elle bêchait le maïs  » le pasaba a la rebassèro  » (elle le  » passait  » à la houe ) Pour toute nourriture elle amenait du pain qu’elle trempait (  » chaouchait  » ) dans du café au lait froid et quand elle avait soif elle buvait l’eau du fossé Un paysan de la ferme voisine qui la voyait faire la comparait à une buse blanche ( uno toudo blanco )

Comment suis-je vivant, ce jour particulier, (ils le sont tous), précisément ?

En me levant sur les 8 heures, j’ai accompli le rituel quotidien,  initié le 8 janvier 2006, (soit 15 ans 8 mois et 4 jours) ; il consiste à « poster » sur mon blog intitulé « poésie mode d’emploi »,  un poème nouveau. Je ne le « calcule » jamais à l’avance. Ce matin je l’ai puisé dans une série de « proses poétiques », écrites, toujours de ma main et sans ratures (ce qui m’oblige à une attention soutenue ou/et à une écriture par intermittence) ; ces proses, écrites avec une allégresse de « Renaissant »,  contenant dans une page blanche format A4 ; elles témoignaient de mon premier automne libéré de toute obligation professionnelle, ce que l’on appelle, faute de mieux, « la retraite » ; les « oiseaux » gazouillant de la maison venaient de partir : ma chère moitié poursuivant son métier d’institutrice, à l’école de Lavéra, ma fille aînée à Aix-en-Provence, pour sa première année d’IUFM, (une manière de se préparer à « reprendre le flambeau »), ma cadette faisant sa khâgne au lycée marseillais fréquenté en leur temps par Marcel Pagnol et son petit camarade Albert Cohen : « Ô vous frères humains ! »

Ce matin, pour le blog, j’ai prolongé une amorce écrite par Gilles Deleuze :

«  Rendre sensibles les forces insensibles qui peuplent le monde, et qui nous affectent, nous font devenir… »              

   Qu’on est bien dans les arbres, niché dans un hamac des Amériques d’avant Colomb, lisant nos variétés, variations et variables, sans cesse renouvelées, regardant avec les yeux d’un tournesol la fenêtre de Vincent, vivant de peu, renversant l’ordre des opinions à la mode par cette langue des sensations qui passe par les mots, les couleurs, les arbres et l’amitié de tous ces personnages imaginés qui nous chuchotent à l’oreille l’infini de toute vie…

Puis, après un café bu sur la terrasse avec la visite inopinée d’une tourterelle, j’ai quitté ma maison, dont je suis désormais l’unique « représentant », pour aller « à la mer », que j’atteins en un petit quart d’heure en auto, traversant un bois de pin et longeant des marais salants, le plus souvent peuplés de flamants roses.

« Ma » plage, sur la commune de Fos sur Mer, a plusieurs noms. Elle est de sable et d’or, elle s’étend sur 400 mètres et on a pied sur 50 environ. À l’horizon, je compte les bateaux, autour de treize, qui attendent qu’on les charge ou les décharge de produits lourds ou gazeux. Ce matin un porte-conteneur est passé, en direction de l’est, vers Marseille. La température de la méditerranée en ce moment est idéale. J’ai nagé, guidé par les petites bouées jaune, longtemps, longtemps, lentement, brasse, dos, « sous l’eau ». De loin en loin je vois de plus en plus de gens, plutôt âgés, qui ne nagent plus, ils marchent et font des mouvements en ordre quasi militaire.

Ensuite, avant de repartir, je reste une petite heure. Quelquefois lisant/écrivant, d’autres, comme ce matin, dessinant blanc sur noir, un labyrinthe que j’avais commencé à Menton, où je viens de passer quelques jours dans le petit domaine d’Yvette et de Michel Perrin. Lui, repose en surplomb de la ville, dans le cimetière dit du « Trabuquet » (piège à oiseau), depuis un lustre, cinq ans. Nous sommes allés fleurir sa dalle mortuaire, puis assis, avons dit quelques vers du Cimetière marin. (le début du poème est d’ailleurs gravé à l’entrée de l’autre cimetière, plus bas, connu pour avoir accueilli « les riches hivernants » (sic) anglo-saxons, prince russes et autres, qui venaient mourir de tuberculose…).

Yvette m’a montré le dernier travail que Michel n’a pu mener à bout, photos légendés avec mythes de la Goajira, que nous découvrîmes avec mon compadre Perrin, une nuit de Noël 1968 ensemble, puis qui constitua le premier travail ethnographique de mon ami ethnologue. Face à ce corpus, que l’infatigable passeur de pratiques autres, (le chamanisme, les tisseuses de molas des îles San Blas (Guatemala), recousant le monde, les tableaux de fils des indiens Huichol…), remettait sans cesse sur le tapis, mes sentiments varient entre la légèreté, car avec nos « bons sauvages » nous avons beaucoup ri, et la cruauté du temps effacé.

Retour de plage à mon « ostal ». Dans la boite à lettres, un livre commandé à la Fnac, qui va un peu me « décentrer » de ma lecture d’été au long cours, (Proust), il s’agit de Manières d’être vivant d’un philosophe spinoziste, pisteur de loups, Baptiste Morizot.

Les trois premières pages m’émerveillent ; avec sa compagne, postés tous deux dans un col du Vercors, ils comptent à la fin de l’été, les oiseaux de passe. Hirondelles, passereaux, mésanges bleues… « Comment loger un continent de courage dans onze grammes de vie ? ».





Martigues 12/08/ au 09/09/2020

LA PORTE DE MA MAISON D’ENFANCE

hypnographies dorio 03/08/2016




Cette rue qui longeait la rivière

Je ne l’emprunterai plus

Et la porte de ma maison d’enfance

Que nécessité me força à mettre en vente

N’est plus qu’un panneau de bois dur

Fermé pour moi à jamais





Mais je laisse là les souvenirs sans suite

J’ouvre la fenêtre

et laisse entrer quelques instants

la fraîcheur sur la passe maritime

d’une première nuit de septembre





Un poème nouveau m’attend

dans sa discontinuité essentielle

et son essai de recomposition





L’éclair d’un geste

Qui ouvre sans le vouloir

La porte de ce poème

Comme un éventail





ACCENTS RESTÉS DANS LA VOIX D’AUTRUI





Petit nuage en pantalon

Avec mes pleurs engloutis

Au fond des pages

 Claude Brugeilles

(Passe mots)

Editions La Découvrance (2016)





à Claude Brugeilles





Ni fleurs du mal

Ni fleurs du bien

Mais ces quelques lettres au vent de la nuit

Que je partage avec quelques vivants

Mais une infinité de disparus





Le stylo trace ses lignes

Apparemment sans but

Tel un tisonnier

avec lequel on fouaille ses cendres

et ses mots clés :





miettes, fragments, poussière, imagination,

accents restés dans la voix d’autrui*…





Assis devant un livre que je feuillette

Regardant les lumières des bateaux

Sur la passe maritime

Écoutant un raga de nuit





Ni fleurs ni couronne

Mais l’amour des figures

Que tisse la poésie





*Antonio Tabucchi

Il se fait tard de plus en plus tard

Claude Brugeilles
Aucune encre noire épure
hormis celle des cyprès et des nuits
ne confine au reposoir
l’écriture des neiges
C.B.

DES ESSAIS





Des Essais

Montaigne en fit des tonnes





Je n’ai pas asteure

Ses livres sous les yeux

Mais je me souviens

De quelques passes mémorables





Il appelait ça peindre le passage

Celui du Temps :

dont il goûtait

chaque seconde

quand tout bien

fonctionnait





Par contre

Quand il avait le bourdon

Il le traversait

à sauts et à gambades





Cette nuit

Je dois l’avouer

C’est la cloche des morts

Qui m’a réveillé





Alors je prose

Cheval blessé

Qui rue

Et trempe généreusement

les doigts dans l’encrier





Comme vous pouvez

ci-dessous

le constater

manuscrit
tel quel
les doigts dans l’encrier

	

LA VIE PASSE AINSI

Comme l’ombre de mon dessin
de plage
La vie passe ainsi
Tout en semblant immobile
 
  tout bouge
 le vent le vide
 l’étoile la toile de Pollock
 le chant du silence
 l’œil fendu de Buñuel
  
 et cependant
 on croit qu’il s’agit de crier
 Cogito !
 pour arrêter le sablier
  
 tout bouge
 tout se meut
 c’est la branloire universelle
 du châtelain de Montaigne
  
 tout se transforme
 les rires en larmes
 le vivre en mourir
  
 tout renaît
 sur la scène
 du théâtre de la cruauté
  
  
   

tout bouge

le vent le vide

l’étoile la toile de Pollock

le chant du silence

l’œil fendu de Buñuel





et cependant

on croit qu’il s’agit de crier

Cogito !

pour arrêter le sablier





tout bouge

tout se meut

c’est la branloire universelle

du châtelain de Montaigne





tout se transforme

les rires en larmes

le vivre en mourir





tout renaît

sur la scène

du théâtre de la cruauté