LES MÉTAPHORES VIVES

Il fait plus clair ici que dans l’oeil du hibou
Et ton visage est un peu d’or qui brille au fond de la source
Trop de fleurs de rhétorique tressent des couronnes artificielles
La grande Ourse lave ses étoiles dans le Mississippi
Et les mots que j’invente sont des mendiants hagards

Ceci est un centon

1 Norge (2 juin 1898-25 octobre 1990) 2 … 3 …. 4 Robert Goffin (21 mai 1898-27 juin 1984) 5 Claude de Burine (19 septembre 1931-24 juillet 2005)

VISAGE N’EST PAS FIGURE

« Comme pour le mot visage qu’il substituait au mot figure et à qui il ajoutait un grand nombre de v, d’s, de g, qui semblaient tous exploser de sa main ouverte à ces moments. » Marcel Proust


Je l’écris ce poème comme on plante des clous
Pan pan pan pan 
Un pan de ce petit mur jaune
Devant lequel Bergotte cane
(en visitant Ver Meer)

Je l’écris sans scrupule
Au fil d’une plume obscure
(ou mordorée j’hésite)
Fractionnée en tout cas
Devant ce monde imaginé
Dont le personnage fait langage

Lents gages (vous aviez compris)
Qui semblent exploser
De la main ouverte
Sur les lettres et les sons
(comme Bergotte-Proust l’écrit quelque part)

Quelque part à présent
Ce poème qui n’en est pas un
Est fini 
N.I. N.I.

Notre sagesse commence où celle de l’auteur finit, et nous voudrions qu’il nous donnât des réponses quand tout ce qu’il peut faire est de nous donner des désirs Marcel PROUST






POÈME TU VAS VERS QUI VERS QUOI ?





Les mots c’est nous      les mots sans nous

 tout aussi bien

                       1

Un feu d’herbes sèches

un visage à peine un ciel léger





la chaleur qui vient à trembler

au bord de l’autre rive





à tenter le signe

à soustraire l’ombre de la nuit

aux confins de ma pensée





2

Ce matin à tirer la ficelle du temps

à répandre le jour par un ciel gris





à dire d’une voix étouffée

toute la neige à venir





comme l’air dans sa pauvreté

une étoffe mal seyante





et l’apparence du dire

à heurter quoi

au fond de quelques mots

perdus

avant d’être prononcés

3

Poème tu vas vers qui vers quoi

peu importe ici je m’arrête





je ne puis plus rien pour toi

ta liberté se donne par ma solitude

ce que l’on dira de toi ne me délivrera de rien

que ta chaleur soit comme l’obole des morts





une page blanche

à jamais





Jean-Marie Corbusier





Mille mercis de m'avoir envoyé  cette belle page de poésie 
J.M. Corbusier conclue ainsi l'éditorial du dernier Journal des Poètes (89° année)
"Le Journal des poètes est un grand voyage, car voyager, 
comme le suggérait Proust, c'est changer de regard."

« un feu d’herbes sèches voix » piano JJ Dorio
« la ficelle du temps voix » piano JJ Dorio
« poème tu vas vers qui vers quoi » en chanson JJD

	

LETTRE EN FORME TRISYLLABAIRE

original

Lettre en forme

trisyllabaire





C’est la fin

du mois d’août

pas de doute

On m’écrit :

Cher ami

que deviens-

tu tu tu ?

Écris-tu

en vers doux

ta marotte ?

De bon cœur

tes « épîtres

en absence »

du visage

de l’aimée ?

On m’écrit

Je réponds

Sur le pas

d’un silence

libérant

les bons flux :

J’avais peine

J’ai soulas

Ouverture

familière

de liesse

soudaine

-éphémère

mais certaine-

Dernier dé

Que je lance

Pour jourd’hui

Temps passé

Sur papier

Nous éclaire

Et nous lie

J.J.D.

« La plume en l’absence » Pauline Dorio
Le plus grand bien qu'ayant amis présents,
c'est s'entrevoir : puis quand ils sont exempts...
C'est la plume en l'absence

Charles Fontaine (1555)

LE TEMPS TE DÉVISAGE

 

le poète est allé cueillir des simples
mais la brume est épaisse
je ne peux vous dire où il se trouve au juste*
 
*Ji Dao (779-843) époque Tang
traduit par J.F. Billeter
 
le temps te dévisage
tu dévisages le temps
sans visa sans visage
 
le temps te dévisage
tu ne sais ce qu’il cherche
braise ou cendre
 
le temps te dévisage
tu as peut-être déjà quitté
ce monde
mais il semble l’ignorer
 
le temps te dévisage
les visages sont à tous
les miroirs à personne
 
le temps te dévisage
tu l’étreins tu éteins
sa flamme trop vorace
 
le temps te dévisage
par des sentes perdues
voyageur interdit
sans cesse tu dérobes
 
le temps te dévisage
tu as perdu la mémoire
des poésies rangées
dans les bibliothèques
 
le temps te dévisage
une femme qui parle ta langue
revient de son exil
et t’entraîne vers d’autres rivages