LE CRISSEMENT DE LA CRAIE





En lisant, en écrivant    Julien Gracq
Comment lire et témoigner si ce n'est de sa propre présence,
de l'instant que l'on oppose à ce livre esseulé, muet, 
qu'il faudra faire parler.
Jean-Marie Corbusier Témoigner 
 Le Journal des Poètes (dernière livraison)

Le crissement de la craie et la petite éponge pour effacer les résultats
sur cette ardoise qui, dans une autre configuration, devient cette page reverdyenne,
sur laquelle chaque élève de la classe de poésie écrit un poème

Fleuve des souvenirs et des figures littéraires
Des écoliers en blouses grises ou roses pour les jeunes filles en fleurs

Tout un programme d'écriture en construction
Où passent les fantômes de la poésie toujours vive,
Francis Ponge, Pierre Reverdy,
et Marcel Proust, poète de la prose

Je parle d'une voix empruntée à cette communauté
Qui me relie à ce qu'il y a de meilleur en moi,
le soi-même comme un autre, 
lecteur reprenant ses lectures effervescentes...
en les écrivant et les récrivant,
sans compter et sans cesse


PAR HASARD OBJECTIF

voix




Par hasard objectif je rencontre l’ardoise

Qui tombe du toit et m’invite

A écrire un poème

Une femme s’y mire

Comme dans un miroir secret





Par hasard objectif

Je l’appelle Nadja et aussi Fortuna

Demandez-vous pourquoi





Le poème m’éprouve et me secoue les puces :

Ce monde qui paraît mort

À toute nouvelle révélation

Par hasard (objectif)

Monsieur le Poète

Pourriez-vous le réenchanter ?





28/01/2021

J’AIME L’ALLURE POÉTIQUE

hypnographies la main parle à la page




Dès ma première enfance, la poésie a eu cela,

de me transpercer et me transporter.

J’aime l’allure poétique

À sauts et à gambades.

MONTAIGNE





Sur l’ardoise, ce coup de craie.

Et toc, toc, toc, cette musique

que faisaient nos mains écolières.

Jouant avec Calcul Mental

et les dictées des Homonymes.

Encadrée d’un bois, où nos noms

figuraient, c’était notre instit-

tutrice de très vieille roche.

Quel plaisir de relire Ponge !





Nul fanal. Ni conseils. Ni rage

d’écriture. Un petit feu

de braises maintenu mot à mot,

L’allure poétique à sauts

et à gambades.* L’autre scène,

Essais toujours en mouvement.

Paroles écrites. Morceaux

épars de notre palimpseste.

Pensées, pesées paradoxales.

Pavés phénix de 68.

Paroles effacées des murs,

Mais toujours vives en nos cœurs.





Systoles, diastoles, Saveurs.

Poésie, en ce monde qui nie

la cohérence aventureuse**,

se lit sans bruit, à contre-voix,

relie le souffle de Tchouang Tseu

aux Margeries de Jean Tardieu.





Contre la prose, morne plaine

de la marchandisation,

le verbe créateur des enfants du limon.***





** Roger Caillois

à propos des Collages surréalistes

***Raymond Queneau

Roman 1938

TROIS PIÈCES MANQUANTES RETROUVÉES





TROIS PIÈCES MANQUANTES RETROUVÉES





Notre écriture se forme dans la mouvance des écrivains que nous découvrons.

Leur constellation unique façonne un puzzle dont nous sommes en quelque sorte

la pièce manquante.

Georges Perec





NOTRE INSTITUTRICE DE VIEILLE ROCHE





Sur l’ardoise ce coup de craie

Et toc toc toc cette musique

Que faisaient nos mains écolières

De l’aride calcul des pourcentages

À l’ardeur des dictées mentales





Encadrée d’un bois orné de nos noms

Et tenue par une ficelle

Elle était notre institutrice de vieille roche





Quel plaisir de relire cette formule

Qui perle

 Au gosier de Maître Ponge !





UN POÈME QUI NOUS MÈNE EN BATEAU





Le poème te mène en bateau

Ce sont les mots premiers

Qui me sont venus

Mais je ne les ai pas écrits





Bien d’autres entrées

Se sont heurtées

Au refus

Ou à l’indifférence





Poème en absence

Barque légère

Inquiète et têtue*

Montée par les ami.e.s

Du pont des poésies

Et du bon temps de la vie





                                                                *Francis Ponge





NOS MOTS FLOTTANTS DU GOUFFRE OBSCUR





Le poème doit beaucoup

à ses conditions d’existence :





Ce petit rectangle de carnet A6 Kraft

L’écriture au lit pendant la traversée des nuits

Mes lectures en pointillé

Et le stylo noir qui fait bruire

Le gouffre obscur

Des mots flottants*





*Victor Hugo

ÉCRIRE UN POÈME RUE DE LA BERGERONNETTE

écrire un poème

 tout en noir

avec une cravate blanche

de vieux chiffonnier





écrire un poème

du bout des ongles

pour les passants

de la rue de la Bergeronnette





écrire un poème

dans le grand lit blanc

traduit de l’Allemand

ou du Bosniaque*

*Le cornet à dés

Max Jacob





écrire un poème

jamais de ratures

et jamais d’injures

(quoique)





écrire un poème

sur le toit d’ardoise

d’une maison de la vallée d’Aure





écrire un poème

pendant que Monsieur le Président de la République

ranime la flamme du soldat inconnu





écrire un poème de petit Poucet

cailloux noirs

sur page blanche





écrire un poème

une mise à l’épreuve de pensées

qui vont et viennent

et ont tendance à s’évaporer









écrire un poème

c’est une boutade

dont tu te défies





écrire un poème

c’est en écrire

deux ou trois

 à la fois





écrire un poème

résistances réticences

mais pour sauver la mise

nul cogito





écrire un poème

avec ceux des autres

comme miroirs





écrire un poème

autour du vide laissé

par la disparition

de sa femme amie aimée





écrire un poème

pour se maintenir

et se défaire

de nos paroles prisonnières





écrire un poème sur un mamelon

la motte d’un château

où font l’amour

les troubadours





écrire un poème

sur le silence

ou presque





écrire un poème de homard

qui cuit dans le court-bouillon





écrire un poème de tortue

qui a perdu sa carapace

(ça promet)





écrire un poème

autour du vide laissé

par la disparition

de sa femme amie aimée





écrire un poème

c’est se maintenir

et se défaire

de tes paroles prisonnières





07/08/2019





Biographèmes : vallée d’Aure (Hautes Pyrénées) rue de la Bergeronnette (Martigues) sa femme amie aimée (poèmes à ma morte éditions de l’Harmattan 2018)