SANS POINTS NI VIRGULES

Un bon cœur bat de la naissance à la mort un cœur qui a des points est un cœur malade

Pierre-Albert Birot   Grabinoulor





À dire d’un seul souffle





La langue qui remue quoi de plus fonctionnel où alors il faut l’attacher la trancher l’arracher et cependant si on se met à l’écrire avec ses doigts par exemple ce qui en effet semble le plus naturel doigts et mains à plume à clavier à crayon à bille si nous restons dans l’actuel plus ou moins universel avec ses doigts qui la tirent plus que de raison la travaillent la recensent à défaut de l’encenser la langue commence à faire des siennes elle s’oublie elle se libère elle ne veut plus bêler bégueter chevroter quémander l’avis du spécialiste savant ou singe grammairien ponctuel à réclamer syntaxe orthographe et ponctuation exactes c’est-à-dire conformes à l’usage d’un tel écrivant il y a quelques siècles qui paradoxalement n’avait cure des points virgules jusqu’à ce qu’un imprimeur ancien compagnon pressier vienne mettre un peu d’ordre dans tout ça car tant qu’à raisonner il faut bien montrer et marquer les temps de la pensée petit morceau par petit morceau ne pas confondre le moment du donc de celui de l’et du par conséquent et du étant donné que enfin quoi il faut un peu de raisonnement que diable ainsi donc naquit dame ponctuation ou monsieur brisure si l’on préfère petits fétus par petits fétus petites semelles de plomb par petites semelles de plomb pour gravir une à une les marches pour poser une à une les marques de la phrase numéro un puis de la phrase numéro deux ainsi à l’infini pour que la dame ne s’essouffle pas trop aille s’éventant s’économisant de reposoirs en reposoirs pour que monsieur nous les brise bien comme il faut de la tête aux reins et même si l’on osait on descendrait un peu plus bas un doigt virgulant un autre pointant un troisième qui sait quoi tous signes étrangers à cet arc poétique continu jeté à cette seule arche suspendue à la recherche de l’écrit et de la joie qui sans raison résonnent et qui vont sans souci du quand ponctuera-t’on la fin sans freins et sans trompettes

ATTENTION APPROPRIÉE





Attention appropriée

Formule des chercheurs

En science littérature poésie





Ainsi cette forme de poème

Que je creuse et remets

sur le métier





Comme si elle devenait

indépendante de mon identité





Mais ce n’est pas si simple

Mis en jeu le « je

comme un autre »

mis en abyme

coexiste

avec la langue en mouvement

et l’histoire

avec ou sans sa grande H





Attention appropriée

c’était celle assurément

de nos troubadours

qui de trobar leu en trobar clus*

inventèrent à leur manière

excusez du peu…

la courtoisie en amour









trobar leu : une forme accessible au sens commun

trobar clus : une forme « hermétique »

si l’on peut oser cet anachronisme

LA LANGUE DES CLANDESTINS SAIT ATTENDRE





C’est un sentiment étrange

                                                           -comme « être ange »

                                                                un peu pervers

                                                            de l’ami Prévert-

Je suis en train de commencer

une écriture

que quelqu’un -me semble-t-il-

a déjà lue





Mais curieusement

au lieu de me « couper les ailes »

-me couper d’Elle

car c’est une lectrice

qui me court-circuite-





au lieu de rompre

les fils du texte

je le poursuis





je lui ajoute

ces alongeails

qu’affectionnait Michel

sur ses pages

écrites à Montaigne





cependant pour l’instant

je vais ôter ma pièce

du circuit

la dissimuler

aux yeux de cette Françoise

-une manière de la nommer-

qu’il faut tout de même

un peu désorienter





la langue des clandestins

sait attendre









13/02/2020

10h11

LE TEMPS TE DÉVISAGE

 

le poète est allé cueillir des simples
mais la brume est épaisse
je ne peux vous dire où il se trouve au juste*
 
*Ji Dao (779-843) époque Tang
traduit par J.F. Billeter
 
le temps te dévisage
tu dévisages le temps
sans visa sans visage
 
le temps te dévisage
tu ne sais ce qu’il cherche
braise ou cendre
 
le temps te dévisage
tu as peut-être déjà quitté
ce monde
mais il semble l’ignorer
 
le temps te dévisage
les visages sont à tous
les miroirs à personne
 
le temps te dévisage
tu l’étreins tu éteins
sa flamme trop vorace
 
le temps te dévisage
par des sentes perdues
voyageur interdit
sans cesse tu dérobes
 
le temps te dévisage
tu as perdu la mémoire
des poésies rangées
dans les bibliothèques
 
le temps te dévisage
une femme qui parle ta langue
revient de son exil
et t’entraîne vers d’autres rivages