NOUVELLES DU CIEL

J’offre mes yeux entrouverts à la nuit Un iris m’éclaire de sa lumière mauve Ma main d’écriture cherche hasard les fleurs egarées dans les livres-bougies

Chères lectrices-lecteurs plutôt que de payer vos chagrins d’amour Lisez les poèmes chargés de vous donner des nouvelles du Ciel Jamais du Monde

POUR VINGT LECTEURS

Est-ce que pour vingt lecteurs (lectrices comprises) j’écris en vain?
J’écris quand le temps semble s’arrêter pour voir ce qu’il en est ce qu’il peut en sortir :
la vérité au fond du puits du jardin familial quand j’étais enfant
le hasard aboli par un coup de dés magistral
les tourments d’un copiste qui refuse obstinément de faire une page supplémentaire
le silence catégorie d’une langue s’opposant au bruit du temps
la lecture de quelques passages de la bible d’un auteur hébraïsant le français
l’univers des quantas qui s’organise en se désintégrant
En bref tout ce qui dans mon inconscient a précédé cet écrit de fortune
J’aimerais bien que mes vingt lectrices (lecteurs compris) poursuivent cette liste mais je sais d’expérience que c’est trop leur demander
Qu’à cela ne tienne la plume en l’absence ça me connaît

DES LIGNES DE GRATITUDE

Des lignes de gratitude
J’en ai beaucoup à gratter
À la plume sur le papier

Pour les vivants et les morts
Et d’abord pour mon épouse
Qui fut vivante jusqu’à sa mort

Pour mon père que je n’ai pas tué
Et ma mère que je n’ai pas épousée


(S’ils me lisaient
la référence au mythe d’Œdipe
leur manquant
ils seraient quelque peu désappointés)

Pour mes filles et leurs rejetons
Qui me prolongeront


Pour mes lectrices et lecteurs
Aussi rares que précieux

Pour les bonnes rencontres
D’amies et d’amis perdus
Et parfois retrouvés

Pour les livres de ma librairie 1
Et plus précisément
Ceux que je fatigue sans cesse


Ce sera tout pour aujourd’hui
Premier jour du printemps
De l’an deux mille vingt-quatre

1 ainsi Montaigne nommait notre bibliothèque

des signes de gratitude hypnographies du 26 mars 2024

BÉER AUX CHOSES FUTURES OU AUX CHOSES PASSÉES ?

Que vais-je écrire? Je ne sais pas, tout ce que je sais c’est qu’au fur et à mesure de mon écriture sur le papier je vais le découvrir. Mais, façon d’annoncer la couleur, je ne vais écrire que ce que ma plume me dictera pour le plaisir. Le reste je l’écarterai. Je vais écrire pour mes lectrices, qui sont en ces temps de détresse et de « félicité insaisissable »,  » les véritables lecteurs »…béants aux choses futures, selon la formule du châtelain de Montaigne que j’ai revisitée hier en sautant des Essais aux Mémoires d’outre-tombe. Voilà, finalement je découvre que mon écriture cette nuit de mardi 12/12/2023 n’allait être qu’un tremplin au texte que j’ai remis sur le métier hier lundi et que je livre mélancoliquement à mes rares mais si précieux lecteurs.

124 BÉER « Montaigne dit que les hommes vont béant aux choses futures : j’ai la manie de béer aux choses passées. » Béant, béer, béer, béant. Encore heureux que Chateaubriand puisse surenchérir sur Montaigne. Et Marcel Proust, un peu plus tard, sur Chateaubriand. Et tant d’autres à leur suite, poursuivant ces commencements qui n’en finissent pas… de se multiplier. Chacun, chacune, y va de ses Mémoires, de ses créatures de fiction, mêlant « beaucoup de fables, à quelques vérités », faisant de sa vie « un roman ».« Avec toute la mélancolie de l’absence et de la jeunesse » relève l’écrivain de la Recherche, se réjouissant de comparer ses sensations de goût (la madeleine), source de mémoire involontaire, avec celles de l’ouïe chez Chateaubriand : « le gazouillement d’une grive perchée sur la plus haute branche d’un bouleau » à Combourg. Ce que le professeur de Littérature et psychanalyste, Pierre Bayard, appelle avec malice, « un plagiat par anticipation ».

Le livre d’une vie Comme une autrebiographie En mille et un fragments JJ Dorio (texte en cours)

Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d’une grive perchée sur la plus haute branche d’un bouleau. A l’instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. J’oubliai les catastrophes dont je venais d’être le témoin, et, transporté subitement dans le passé, je revis ces campagnes où j’entendis si souvent siffler la grive. Quand je l’écoutais alors, j’étais triste de même qu’aujourd’hui. Mais cette première tristesse était celle qui naît d’un désir vague de bonheur, lorsqu’on est sans expérience ; la tristesse que j’éprouve actuellement vient de la connaissance des choses appréciées et jugées. Le chant de l’oiseau dans les bois de Combourg m’entretenait d’une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable. Chateaubriand Les mémoires d’Outre-tombe

CETTE LANGUE ÉCRITE





Cette langue écrite qui tamise, raffine, épure…
Nathalie Sarraute Les fruits d’or


Cette langue écrite qui se fraie (ou se fraye) un chemin de traverse dans le maquis du langage qui nous étouffe

Cette langue mon dieu auquel je ne crois qui dévie et jubile avec sa plume qui parle sans barguigner au papier

Cette langue écrite destinée aux lecteurs et lectrices solitaires qui la prolongent dans leur tête ou la recopient sur leurs carnets secrets

Cette langue miroir tendu par l’écrit sur cet écran qui incite les lecteurs et lectrices de passage à devenir les lecteurs d’eux-mêmes*


*Paul Ricœur