DEJARME SOLO

Je ne posterai pas cette nuit un poème particulier J’ ai pris une brassée de cartes écrites durant vingt années Je vais prélever sur douze d’entre elles quelques lignes pour en faire un patchwork

.

1

Écrire c’est chercher à être dans son assiette à travers le branle du monde

.

2

La marquise sortit du champ magnétique à 5 heures du soir portant une valise où s’entassaient les incipits de romans morts nés

.

3

Une nuit fertile où le verbe éclatant sous les doigts de Brugeilles dessine l’arbre qui cache la forêt

.

4

Un million de souris de sourires sur les lèvres de Max Jacob

.

5

Égarées sur la page on entend lamento della Ninfa et la pavane pour une infante défunte

.

6

Petit Poucet rêveur l’enfant écrit un sonnet qu’il intitule Ma bohème

.

7

Apollinaire écrit La chanson du Mal Aimé dans l’Enfer de la B.N.F.

.

8

Pour laisser une chance aux pensées que tu ignores tu composes des vers qui s’écrivent en silence dès qu’une pensée flottante donne naissance à une voix intérieure

.

9

Une voix sans personne

.

10

Personne c’est le personnage clef de l’ Odyssée et c’est le poète du desassosego ( l’intranquillité)

.

11

Pas de pathos s’il vous plaît écrit l’homme sans qualités inventé par Musil à portée de fusil des déclencheurs de haine et de guerres intestines

.

12

Dans ton rêve tu tombes renversé par le toro de l’arène sanglante mais en te relevant indemne tous les aficionados t’entendent crier Dejarme solo ! (Laissez-moi seul)

.

13

Alliés essentiels : lire le commentaire.

14

commentaire 2 : une variation produite par mademoiselle LIA

J’ÉCRIS DES LETTRES À MADAME LA MARQUISE

J’ÉCRIS DES LETTRES À MADAME LA MARQUISE J’écris des lettres à Mr le Président en m’abstenant de tout épanchement J’écris des notes de félicitations à ma cuisinière qui m’a gâté cette semaine d’huîtres, d’alouettes (sans tête), de soles frites et d’éperlans J’écris au rédacteur en chef du Monde des Livres que j’accuse d’avoir coupé la tête du chroniqueur chargé de présenter les nouveaux livres de poésie J’écris des notes par centaines aux quatre coins de Paris sur des bancs publics ou dans des bistrots voués aux tables à contraintes de l’Oulipo J’écris à Mme de Sévigné pour lui demander d’éclaircir quelques allusions qui me sont incompréhensibles J’écris à mes ami.e.s lointain.e.s en imaginant la transcription d’une conversation qui entre nous n’a pas eu lieu J’écris par petites touches cette sorte d’autoportrait kaléidoscopique marqué par la fragmentation et l’inachèvement

J’ÉCRIS L’AURORE AUX DOIGTS ROSES

J’ÉCRIS L’AURORE À MES DOIGTS ROSES J’écris ce début sans fin J’écris cette suite digressive dont je me fais un bouclier J’écris pour des lecteurs imaginaires qui n’y voient que du bleu J’écris pour Pierre Ménard inventeur de Don Quichotte polémiquant avec Paul Valéry refusant d’envisager que la marquise pût sortir à cinq heures J’écris avec la main gauche cette écriture en miroir qu’affectionnait Leonard J’écris à la lisière des ouvrages de démonomanies brûlés par les églises pontificales et littéraires sous prétexte que leurs démons jouxtaient de trop près leurs dieux J’écris pour faire sortir de leurs pages d’encre et de papier les personnages de fiction qui viennent à mon chevet me préparer à les rejoindre…le jour d’après

MARQUISE






-Alors Madame la Marquise
Vous sortez toujours à cinq heures du soir
Et tout va toujours très bien ?
-Faut croire cher Monsieur
Puisque vous l’écrivez.
-Et faut-il toujours croire ce turlupin
Qui prétendait sur l’air des lampions
Madame la marquise m’a foutu des morpions !
-Un plaisantin ce monsieur Brassens

C’était juste un coup de trompette
Pour exciter le peuple et les folliculaires
-Ah ! la la ! et ce vilain Corneille
qui sur ses vieux jours crut vous séduire
en prétendant que vous alliez vite faner
comme les roses de Ronsard.
-Tous deux ont trépassé mon cher
Et moi je me porte toujours comme un Ange.

UNE BÊTE NOMMÉE ÉCRITURE





C’est ça la bête nommée écriture…qui démarre en flashback et se retrouve à My-Ly ou à Oradour…égorgée, fusillée, cramée à vif…par la gent militaire…

La gent trotte-menu ces souris inventées par le bon La Fontaine…

D’un côté la grosse bête Barbarie…de l’autre la vie comme des Fables…dédiées à Madame de Montespan…une belle marquise dit-on…

Non pas celle moquée par le penseur-poète Valéry…la marquise sortit à cinq heures…

A los cinco de la tarde…à cinq heures du soir…quand le maestro cueilli par le bicho– la bête à cornes- dans l’arène sanglante agonise…

Le ciel est par-dessus le toit…écrit Verlaine bon prisonnier…poésie apprise jadis naguère…par un petit paysan de l’Ariège…encore un flache baque..

Si je désire une eau d’Europe…c’est la flache…petit bain rimbaldien d’un enfant accroupi qui lance son bâteau frêle…né de la dernière pluie

Bâteau ivre Bâteau livre…et tout le reste est littérature





hypnographies série 8/8