VOUS NE POUVEZ PAS SAVOIR COMBIEN ELLE EST BONNE

VOUS NE POUVEZ PAS SAVOIR COMBIEN ELLE EST BONNE ! C’est ce que j’ai envie de crier à mes derniers amis (et amies) en sortant de l’eau de mer ce premier octobre fin de journée La mer la mer où l’on s’ébat où l’on s’arrête à l’écart faisant la planche où l’on se penche paresseux mi-philosophe mi-mollusque Paul Valéry Tu ne peux pas savoir combien elle est bonne ! C’est à toi seule que j’ai dit souvent ça Tu me tendais une serviette en riant en me disant petit fada Tu n’es plus là Tu es la mère en allée avec le soleil noir de sa nuit définitive Lourde est la charge qui m’incombe de poursuivre jusqu’à ma mort et dans un temps paradoxal (intermittent, discontinu) ton souvenir…Lourde et légère aussi

L’ÉTÉ N’EN FINIT PAS DE REJOUER SA PARTITION

à la fin de l'été cet été c'est encore l'été
on va encor à la plage
on amène sa chaise à la toile bleue
on raconte des histoires à la mer
qui veut bien les écouter
maintenant que les vacanciers sont partis
il y a bien quelques méduses
mais on les évite en récitant des vers
venus de nos muses
on est ému de les mouvoir
au fond de nous
spontanément
sous la dictée du dedans

l’été sans mer je meurs

premier bain de mer l'été sans mer je meurs à petit feu
entouré d'enfants qui rejouent le mythe des origines
ils courent à la mer ils passent le sable au crible
ils n'arrêtent pas de bâtir des châteaux qu'ils croient éternels
et surtout ils crient ils rient ils portent l'eau des poètes
de sept ans à soixante dix sept ans dans le plein soleil
l'azur les bateaux de maman qui ont des ailes
toutes les émotions rêves et désirs que l'on dit au papier
devant la mer qui nous vient du dedans
comme un étourdissement passager

Fos sur Mer 24/08/2020 
et pour le dernier bain 09/09/2023
"c'était hier ce matin là
c'était hier c'est loin déjà"


LE SEL DONT ON FAIT LES POÈMES

LE SEL DONT ON FAIT LES POÈMES

Au cœur de la ressemblance, la différence, l’ambiguïté du soleil noir, le miel de la mélancolie.  Les mots s’en vont dans la nuit blanche, jouer du coude, mettant à nu les facettes de tous nos clichés. Sur la balance de nos lubies, ils nous promettent d’être nuages, brassées de fleurs, constellations des Pléiades, alternativement mâles ou femelles. Au cœur de la différence, la ressemblance qui rend la mer folle de ce sel dont on fait les poèmes.

TOUT EST MU PAR LES MOTS

Et la mer et Homère tout est mu par l’amour
Qui écouter ? Homère a fait silence
Et la mer noire harponne, mugissante,
Et vient à mon chevet avec un fracas sourd.

Ossip Mandelstam
(1891-1937)

Tout est mu par les mots
Paysage, mer, cœur, voix, silence, feu,
Et leur fracas sourd 
Leur rumeur qui vient jusqu’à mon lit
Taillé comme une barque.

Paysage d’un conte
ou un comte perd la vie
au col de Roncevaux

Mer je me souviens d’y avoir plongé
(j’avais vingt ans)
à Sounion
le saint cap d’Athènes

Cœur naviguant à l’estime
à travers les phrases 
qui me sont autant d’amers

Voix d’Homère traduite par ce poète suisse
Qui résida sur Terre à Grignan 1
Conte-moi, Muse, l’aventure de l’Inventif

Silence « terrible, singulier »
Comme des somnambules
Ce noir illimité 2

Feu enfin où Phœnix renaît
Du désert et des cendres

Comme cette page écrite
Sous les rayons d’une lampe de chevet



1 Philippe Jaccottet l’Odyssée 2 Baudelaire Les aveugles