LA NUIT OÙ TOUTES LES FEUILLES DE MON ROMAN SONT REDEVENUES VIERGES 26,27,28





vingt-six

LE FEU QUI PARTAIT DANS LA CHEMINÉE DE MA CHAMBRE faisait un bruit de bataille. « Il rabâchait », verbe mystérieux écrit par un faiseur d’images et de littérature. Son texte, que j’avais en main, se déployait, entre détails naturalistes (braises, tisons, cendres) et pastiche ; le feu, tel un animal turbulent, ne tenait pas en place et sans l’arme d’un tisonnier, il aurait pu sauter sur une chaise, un fauteuil, à proximité. Celui par exemple, où je poursuivais ma lecture qui avait pris maintenant une toute autre tournure. Associée à un goût de cigarette méticuleusement roulée, elle me mettait en présence de cette jeune fille sautillante et désirée, qui à la fin du roman était devenue cette mère-grand, les cheveux plus blancs que neige.

Je fermais le livre, m’assoupis dans cette chambre séparée du reste du monde et vis le dessin d’une inconnue, beau et pathétique. Blanc sur noir, il va sans dire.





vingt-sept

JE SORS D’UN MONDE PROTÉGÉ PAR LE SOMMEIL, fût-il léger, comme un vin de champagne. Un monde où durant une courte absence, j’ai échappé à la perception du réel. Je lui ai tourné le dos. Je l’ai roulé dans la farine de rêves particuliers, qui reprennent parfois, pour les modifier, la dernière histoire lue avant l’endormissement, les images d’un film du soir, regardé sur l’écran plat du salon.

Je sors d’un monde où mon propre moi ressemble comme deux gouttes d’eau à celui qu’il était la veille, mais avec des ratés : je n’arrive plus à plaquer les accords sur ma guitare, je perds le contrôle de mon automobile et me retrouve en tête à queue, je feuillette mon livre de chevet dont toutes les pages sont redevenues vierges, j’écris une lettre à la hache (sic), à la diable (plutôt), au plus délicat des écrivains, surnourri par sa mère Jeanne, aux vers de la Tragédie ou à la langue ailée de l’Odyssée…pareille aux nymphes qui nourrissaient Hercule.





vingt-huit

« TA PAUVRE VOIX BRISÉE MEURTRIE »…ainsi le narrateur fait l’amère expérience des premières communications transmises par la voix au téléphone. Sa lointaine correspondante, sa Mère, qui quand elle écrit une lettre, sait cacher en une forme maîtrisée, ses joies et ses peines, ne peut, au téléphone, donner le change ; sa voix brisée, vaincue, traduit (trahi), la perte insupportable de sa chère mère, qui l’engendra et l’accompagna, intimement, tout au long (cours) de sa vie.

Et en effet, dans ces circonstances, on croit entendre pour la première fois cette voix lointaine, sans le secours du visage aimé à proximité, les caresses des yeux, le murmure de la bouche…

Oui, c’est parce qu’elle était marquée par l’âge, que le beau visage ridé de ma grand-mère, assise au coin du feu (le cantou), éclairait cette voix qui me racontait le passé retrouvé, me donnant l’illusion qu’elle ne serait jamais perdue, comme cette voix sans personne, que posait le poète Jean Tardieu, à la radio renaissante en 1945 (la date de ma naissance)… et sur le papier.

ma grand-mère s’appelait Germaine Vidal

J’ÉCRIS opus 17





J’écris comme un voleur

J’écris comme personne

J’écris comme une fleur

J’écris et je griffonne





J’écris sans respirer

J’écris et je mijote

J’écris sans fanfaronner

J’écris sans ma jugeote





J’écris au onzième étage

J’écris dans le troisième dessous

J’écris dans un fouillis réjouissant

J’écris sans connaître les affres de l’écriture





J’écris comme un menteur sacré

J’écris en relisant les autres

J’écris sans avoir de mentor

J’écris en évitant les notes





J’écris sans jamais raturer

J’écris en me moquant d’être à la page

J’écris sans fin

J’écris ayant toujours faim





J’écris d’abord et il m’arrive de penser ensuite

J’écris sans penser à rien de particulier

J’écris quand la ville dort

J’écris coquin de sort





J’écris en laissant des blancs





J’écris comme je ne suis pas un romancier

Sans voir un lieu des personnages

Une scène qui trotte dans ma tête

J’écris en changeant de stylo quand le mien se met à pâlir





J’écris en attendant que ça passe

J’écris jusqu’à la dernière goutte d’encre

J’écris atterré en revoyant les tableaux horrible de Goya

J’écris sans avoir réfléchi aux questions qui hantent les philosophes





J’écris en croyant voguer vers le Nouveau Monde

J’écris admiratif de ce mexicain qui avait pour nom Paz

J’écris en paix

J’écris libéré de mes nostalgies révolutionnaires qui me privaient de toute lucidité





J’écris en pensant que les monothéismes et les replis identitaires sont source d’intolérance et de guerres qui font le malheur des peuples

J’écris en fin de compte en oubliant ce que je viens d’écrire pour chercher à faire mieux demain

J'écris Fraternité

DIRE DE LA POÉSIE

dire de la poésie
écrit tel quel 21/04/2021








SANS TITRE





Dire de la poésie…un petit feu pour maintenir

son souffle…c’est un sonnet dit

en pleine nature…au-dessus d’un lac

des Pyrénées ou des Andes…

c’est autour de minuit





Dire de la poésie…son corps immense…

faisant bouger ce qui a déjà été écrit…

hier…il y a cent ans…ou mille





Dire ce qui n’a jamais été dit…même

par celui ou celle qui…chemin faisant…

ont écrit ce sonnet raccourci…

qui saute la dernière ligne…

sans personne pour l’écouter…

sans titre





(une repasse sur le clavier avec quelques retouches)

QUI EST LÀ ?





– Qui est là ?

– En effet, je me le demande.

– Est-ce un inconnu ?

– Ça m’en a tout l’air.

– Est-ce une image de toi-même ?

– Ta question me laisse interdit.

– Est-ce un acteur de comédie ?

– Une personne qui apparaît

sur les feuilles d’un livret

dans la coulisse.

– A-t-elle un nom ?

– Elle en a mille.

– Un dernier mot ?

– Je l’ai oublié.





DIALOGUES INTÉRIEURS XIII

LES PÂQUES D’UN PAÏEN INACTUEL









Agenda impersonnel 29 mars-04 avril 2021

2h46  Personne : masque souvent grotesque de l’acteur antique. Chaque personne, homme ou femme, continue ainsi de faire en société son cinéma. Malheur à ceux et celles qui sont dupes de leur personnage. Paradoxalement Pessoa (Personne en portugais) s’inventa plusieurs noms de plume qu’il appela ses hétéronymes. Il était Álvaro de Campos, poète avant-gardiste et décadent, qui écrivit dans un élan métaphysique « Bureau de Tabac ». Il était Alberto Caeiro, versé dans la phénoménologie. Il était Ricardo Reis et António Mora. Et son livre le plus fameux Livro do desassosego (Livre de l’intranquillité) fut l’œuvre de Bernardo Soares. Son quotidien, il le nomma « ennui ésotérique ». Tout un programme.   2h66





Mardi 30/03/2021

1h37   Alors que j’écrivais ces variations sur Personne, la dernière ancêtre Dorio, côté ferme de Daumazan sur Arize (Ariège), cousine germaine de mon père, s’éteignait à 94 ans. La repousse désormais a lieu à partir d’ici, passant des terres occitanes au bord de mer provençale, celle que Valéry du haut de son cimetière marin décrivit comme toujours toujours recommencée.  1h44





Mercredi 30/03/2021

4h18  Je me réveille ayant rêvé des aphorismes de René Char. Jeune lecteur, poète en herbe, ils m’enchantaient. Les yeux bien ouverts cette fois je reprends les XXVII fragments de À la santé du serpent. Je n’ai qu’une formule sans égards ni patience pour le maître de l’Isle sur la Sorgue : Char à Bia.     4h26





Jeudi  01/04/2021

18h50  Me voilà lisant Paris Match, le poids léger des mots, le choc amorti des photos. Pour un ancien fervent de Mai 68, on dirait qu’en lisant cet hebdo, j’ai mangé mon chapeau. Mais j’ai ma petite idée que je vais avec tous ces gens prisonniers de leurs personnages tâcher de développer.   19h03





Vendredi 02/04/2021

7h23  Ouverture des volets : 3 pies jouent sur les râteaux de l’antenne de télé de la maison d’en face, un goéland rame mélancoliquement.  7h25





Samedi 03/04/2021

1h12  Je viens de trouver un nouveau cycle d’écriture : « dialogues intérieurs », en mode mineur et si possible plutôt blagueurs.   1h14





Dimanche 04/04/2021

8h59  Tout de suite c’est l’écriture d’un dimanche de Pâques d’un païen inactuel, de la dernière indienne de la Terre de Feu et d’un philosophe sysiphéen remontant son rocher sur lequel pendant la nuit a poussé un acacia.   9h11