ÉCRIRE UN POÈME RUE DE LA BERGERONNETTE

écrire un poème

 tout en noir

avec une cravate blanche

de vieux chiffonnier





écrire un poème

du bout des ongles

pour les passants

de la rue de la Bergeronnette





écrire un poème

dans le grand lit blanc

traduit de l’Allemand

ou du Bosniaque*

*Le cornet à dés

Max Jacob





écrire un poème

jamais de ratures

et jamais d’injures

(quoique)





écrire un poème

sur le toit d’ardoise

d’une maison de la vallée d’Aure





écrire un poème

pendant que Monsieur le Président de la République

ranime la flamme du soldat inconnu





écrire un poème de petit Poucet

cailloux noirs

sur page blanche





écrire un poème

une mise à l’épreuve de pensées

qui vont et viennent

et ont tendance à s’évaporer









écrire un poème

c’est une boutade

dont tu te défies





écrire un poème

c’est en écrire

deux ou trois

 à la fois





écrire un poème

résistances réticences

mais pour sauver la mise

nul cogito





écrire un poème

avec ceux des autres

comme miroirs





écrire un poème

autour du vide laissé

par la disparition

de sa femme amie aimée





écrire un poème

pour se maintenir

et se défaire

de nos paroles prisonnières





écrire un poème sur un mamelon

la motte d’un château

où font l’amour

les troubadours





écrire un poème

sur le silence

ou presque





écrire un poème de homard

qui cuit dans le court-bouillon





écrire un poème de tortue

qui a perdu sa carapace

(ça promet)





écrire un poème

autour du vide laissé

par la disparition

de sa femme amie aimée





écrire un poème

c’est se maintenir

et se défaire

de tes paroles prisonnières





07/08/2019





Biographèmes : vallée d’Aure (Hautes Pyrénées) rue de la Bergeronnette (Martigues) sa femme amie aimée (poèmes à ma morte éditions de l’Harmattan 2018)

MILLE ET UNE MANIÈRES D’ÉCRIRE UN POÈME

écrire un poème sur le cornet à dés

de Max Jacob

jamais n’abolira

Stéphane Mallarmé





écrire un poème est décourageant

c’est comme la pipe de Magritte

qui n’en est pas une





écrire un poème est excitant

c’est un ours qui danse

sur la place du village

de ton Ariège natale





                                                               écrire un poème à deux heures du matin                

est – vous l’aviez remarqué – un alexandrin





écrire un poème

lancer sa toupie et la regarder

jusqu’à ce qu’elle cesse de tourner





écrire un poème

entre deux stations de métro

c’est un exercice de style

Oulipo





écrire un poème à l’encre de Chine

c’est bien mieux

que l’écrire à l’encre bleue





écrire un poème en mai 68

avec une bombe crachée sur les murs

c’était  jouissif





écrire un poème c’est fortuit

fort de café

et bouteille à l’encre





écrire un poème

c’est une prière

d’insérer





écrire un poème

c’est sauter à la corde

dans une bibliothèque en feu





écrire un poème

ça ne s’invente pas

c’est la fable du chêne et du Queneau





écrire un poème sur un horizon

où les chiens aboient

c’est du Lorca





écrire un poème pour ma fille aînée

à Louise Michel

et pour ma cadette

à Manhattan





écrire un poème

taratata

turlututu

mirlababi
surlababo






écrire un poème

mais jamais le même

ça t’en bouche un coin





écrire un poème au lit

que personne ne lit

en comptant ses pieds





écrire un poème

qui aie de vous merci

a dit Frère Villon

avant d’être pendu





écrire un poème sur le livre

De ton ancien professeur de Rhétorique

En mangeant des éclairs au chocolat

(on dirait du Pessoa)





écrire un poème à la terrasse des cafés

sur un carnet à ressort

ça tu l’as mille fois fait





écrire un poème quand les voix résonnent

dans la tête de la danseuse espagnole

                                                                                     que Miró épingla            





écrire un poème de ton bras zéro

longtemps tu hésites entre trois mots

l’onyx ? les nixes ? Madame X ?





écrire un poème

dans la caverne de Platon

le mythe du poète

chassé de la Cité





écrire un poème

qui rêve d’un papillon

ou de Tchouang-tseu





écrire un poème sur le piano du pauvre

les blanches et les noires

autour du cou

la chanson guimauve Toscanini s’en fout

chante Léo Ferré





écrire un poème

sur la photographie de Verlaine

tu te souviens des jours anciens

et tu pleures





écrire un poème

 sur l’origine du monde

un enfant nous est né !





écrire un poème

sur le toit tranquille

où marchent des colombes

ce n’est pas l’écrire

sur le livre de l’intranquillité





écrire un poème

en jouant aux billes

au jeu de barre

à l’enfant mélancolique

perché sur ses nuages





écrire un poème

inachevé

et que n’ai-je l’éternité

pour le terminer





6 août 2019

9.45





Noms propres (par ordre d’apparition)

Max Jacob Mallarmé Magritte Ariège Picasso Pierrot  Queneau Lorca Louise Michel Manhattan  Villon Léo (Ferré) Valéry Pessoa  Miró Platon Madame X Tchouang Tseu Toscanini Verlaine etc


L’ÉTERNITÉ DU JOUR QUI VIENT

 






C’est un essai
Un gaspillage
De mots gratuits
De mots salés
Sucrés poivrés
Que n’aiment pas
Les sociétés
Platon le dit
Il faut chasser
De la cité
Tous les poètes
Les inventifs
Porteurs de muses
Et d’Odyssée
Platon a peur
De l’insensé
Qui le traverse
Du noir soleil
Du feuilleton
Des vies fictives
Filles du feu
D’un orphelin
De Reine Mère
Chants odelettes
Nos fantaisies
Nous font revivre
L’éternité
Du jour qui vient
Dans un poème
Renouvelé
 
 

LE FEU SECRET



Faire un poème est une fête où le rituel « organise tout le possible du langage ». Ce peut-être bref, un feu d’étincelles, ou très long, interminable. On essaie, des heures entières, d’arbitrer, en vain, les conflits permanents entre « l’oreille », le son, et « l’esprit »,  le sens.

La fête finie, que reste-il, si ce n’est ce peu de grains, sur le papier ou dans le sablier d’un recueil, que l’on dit de « poésie ».

« Et nous les os devenons sable et poudre », écrivit Villon, en forme de ballade, pour ses « frères humains », s’attendant comme lui à être pendus.

Il est un autre poète, que tout le monde a oublié, qui, filant la métaphore, se vit, lui aussi, « se la couler douce » après sa mort, dans « l’horloge de sable » :

« Le feu secret qui me rongea

En cette poudre me changea

Qui jamais ne repose. »*

*Charles de Vion, seigneur de Dalibray.

PAS DE QUOI EN FAIRE UN POÈME

Pas de quoi en faire un poème

me dit l’empereur philosophe :

Écrire ses pensées chaque jour

était un de ses dadas.





Pas de quoi en faire un poème :

Bientôt tu auras tout oublié !

Bientôt tous t’auront oublié !*

*Marc Aurèle





Pas de quoi en faire un poème ?

Je sais bien mais quand même

Sans pouvoir et sans pensée particulière

Je l’écris ce poème





Unique et sans chichis

Il m’oblige à déployer

Les formes imaginatives

Qui font le corps d’un texte

En perpétuel mouvement





Je l’écris ce poème

Vers le haut vers le bas

Je l’écris à la lettre

Allant de l’une à l’autre





Abeilles qui m’apportent

Le miel de chaque jour

Il est amer parfois

Mais ce matin Orphée

Fait entendre sa lyre





Poète et musicien

Il apaise le cœur

Des humains et des arbres

Des oiseaux des mortels





Il est temps Ô ma muse

D’en faire un beau poème