ÇA A TOUJOURS KÈKCHOSE D’EXTRÈME UN POÈME





UN PEU DE BLEU SUR UNE FEUILLE BLEUE

1

Ce moutard était là avec un air idiot à jouer…devinez ? du bilboquet ! Ah ! il avait enfilé dix-neuf fois la boule ! et il continuait en comptant : vingt, vingt-cinq, trente…ça ramassait le monde…

Charles Cros





Maintenant aussi il faut bien se persuader de l’inutilité de cet exercice : un peu de bleu sur une feuille bleue

C’est comme le monologue du bilboquet paru en 1877 dans la Renaissance littéraire et artistique

Un texte à pleurer de rire

Mais totalement inutile

Sauf qu’en le lisant à plusieurs

Un verre de vin à la main

On reste sur le cul

Comme écrivait crûment un autre animal littéraire

à propos d’un autre jeu littéraire plus métaphorique et mélancolique

Ma jeunesse est partie

Ma jeunesse est finie

Ce qu’il y a de bon avec les exercices d’inutilité faits avec un peu de bleu sur une feuille bleue

c’est qu’il est inutile de chercher une conclusion

la chute vient d’elle-même

et la boule d’ivoire n’a toujours pas rencontrée

le mince bâtonnet





2

Un homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes.

Marcel Proust





Quand votre prose n’a pas droit au chapitre,

premier chapitre ou dernier chapitre

c’est du pareil au même.

Et cependant il vous arrive d’écrire : résumé des chapitres précédents

C’est toujours autant de temps perdu mais au moins vous aurez eu un bref instant l’illusion d’avoir participé en l’écrivant la tête sur l’oreiller à sa recherche

Et d’ailleurs maintenant que vous avez projeté ce peu de bleu sur une feuille bleue

vous pouvez vous rendormir et rêver de votre mère

qui vient s’assurer autour de minuit que même couché comme chaque soir de bonne heure

vous lui avez laissé bien en vu sous la flamme de la bougie

ce petit mot

écrit avec ferveur

je m’endors





3

Je vous supplie pour signal de mon affection envers vous,

vouloir être successeur de ma Bibliothèque et de mes livres que je vous donne…

(La Boétie mourant à son ami Montaigne)





Le monde ivre nous délivre des livres

J’ai recopié jadis la formule dans un abécédaire

quelque peu délirant

à l’encre bleue de chine

sur un papier bleu d’Iran

Il y avait dans ce livre ivre de livres

de nombreux errata

Ça ne pouvait rater de la part d’un jeune homme

ou d’une jeune fille

enivré.e.s

de lettres retorses

Par exemple il fallait lire la première ligne

du texte présent ainsi :

le monde souffle et souffre

C’est d’une autre inspiration j’en conviens

et même d’une portée nouvelle

Mais l’on pourrait imaginer un long article pour montrer

que l’un dans l’autre

le monde nous délivre

des livres qui s’essoufflent





4

mais d’autres fois on pleure on rit en écrivant la poésie

ça a toujours kékchose d’extrème un poème

Raymond Queneau









Encore un feuillet bleu où la plume bleue va faire son trou de verdure

où chantent les réminiscences de vers

qui nous faisaient pleurer ou prendre le fou rire

C’était dans une école de campagne

où dès l’aube nous allions

le cœur tendre souriant

et la tête pleine de pensers nouveaux

Plume bleue plume bleue qui cancane qui cancane

Modestement et tortillant

Comme la cane de Jeanne

Morte ce matin

Malencontreusement écrasée par

Le petit cheval dans le mauvais temps

C’était l’époque de nos Genèses

Un dieu plutôt mécréant

Avait écrit sur le mur de la maison d’école :

Ça a toujours kèkchose d’extrème

Un poème

MA POÉSIE N’EST PAS À VENDRE




Ma poésie n’est pas à vendre
La preuve ici elle est donnée
Un courant d’air entre deux portes
Fenêtres ouvertes sources cachées
 
Ma poésie n’est pas à moi
Moi et son culte effréné
Des soi-disant poètes cloîtrés
Qui se hérissent à votre approche
 
Ma poésie Secret des Marges
Petit métier À sauts et gambades
Formes et forces de l’esprit
Qui du poème fait magie
 
Un présent une énergie
Qui est dans la chose donnée
Elle oblige le lecteur
À ne pas la garder pour lui
 
C’est le secret du don
Il n’est jamais gratuit
 
 
italiques titres recueils JJD
 

LETTRE POUR UN ANNIVERSAIRE

lettre de Raymond Queneau
à Jean Jacques Dorio
original




LOIN DE RUEIL     ce 24 mars 1945                                                                                                                                     PRÈS DES MARTIGUES 24 mars 2020

                                                                                                                                                               





Mon cher Dorio,

Tu viens de naître, je le sais, mais je me suis débrouillé avec le dieu du Temps pour que cette lettre ne t’apparaisse que le jour de tes septante et cinq ans. À l’avance j’en trépigne de joie. Et question java, jour de fête, poésie pas fière pour un sou, j’ai pas d’souci. On t’a fait à la bonne graine, à cinq heures du matin, (c’est marqué sur le livret) d’un printemps retrouvé après cinq ans d’obscurité.

Et pour le reste en ce jour où l’on éprouve ses artères, styles, exercices et tout le bataclan, je me suis fendu de ces quelques vers dont tu feras, à ta guise, complainte, ballade ou chanson grise.





La vie court on ne sait où

Avec ses pattes longues et courtes

Le temps passe on ne sait quand

Mai 68 entre ses dents





La vie remue son R son Q

Chêne et chien Pins et cigales

Le temps JJ lance ton D

Et ses six chiffres qui roulent

Et roulent jusqu’à ta mort





Mais chut en c’jour faut pas l’écrire

La mort n’y mord disait Clément

L’amour nie le jeu d’la mourre





Chantons le jour où nous naissons

Et renaissons en affirmant

Xa va xa va xa va durer encor

Un p’tit bout d’art poétique

Par ci par là et caetera





À toi mon pote ces lignes qui flottent

Et au Virus Couronné de l’éternelle Pouaisie





Ra i grec mond Que n’eau (ter)

POÉSIE POÈME POÈTE





QUESTIONS SANS RÉPONSES…OU PRESQUE





– Qu’est-ce que la poésie ?

– J’ai relevé des centaines de définitions toutes aussi excellentes qu’incertaines.

-Mais si tu devais n’en retenir qu’une ?

– Derrière une définition de la poésie, il s’en cache une autre, et par derrière encore une autre…





– Qu’est-ce qu’un poème ?

– Je ne sais pas te répondre, mais je puis t’assurer que je lis chaque jour, et depuis bien des lustres, les poèmes des autres, et que j’écris, tant bien que mal, les miens, chaque nuit.

– Que dois-je en déduire ?

– Que pour la réponse à ta question, il vaut mieux que tu t’adresses à ceux qui n’ont jamais écrit un poème de leur vie.





– Qu’est-ce qu’un poète ?

– « Hardi, beau parleur, effronté, impudent…jamais à court de paroles, un vrai renard. »

– Euh…

– Qu’elle est ta question ?

– Je te demandais si tu avais une définition du poète ?

– Oups ! Je t’ai donné un passage des Nuées d’Aristophane, que j’étais en train de répéter.

– Alors, maintenant que tu es revenu sur terre, peux-tu m’éclairer ?

– Eh bien, disons qu’un poète, réflexion faite, c’est tout le contraire.


	

TU VIS SEUL





TU VIS SEUL

dans une belle grande maison

conçue à l’origine

pour quatre habitants





tu vis seul

au seuil de ce que l’on nomme

la vieillesse





tu vis seul

une modalité non choisie

de rapport au monde





tu vis seul

les vitres à double vitrage

fermées

il fait silence





tu vis seul

paradoxalement

non isolé

non replié

sur l’ego





tu vis seul

dans un jeu de go

engagé

avec le monde entier





tu vis seul

occuper ton temps

cocher des cases d’obligation

sur ton agenda

savoir à l’avance

ce que tu vas faire de ta journée

ne font pas parti de ton vocabulaire





tu vis seul

tu l’écris ce matin

à ton réveil

au lit





tu vas ainsi remplir

quatre feuillets

sur une carte jaune





ce sera

pour commencer la journée

l’hapax des amours jaunes





tu vis seul

tu l’écris au dos d’un livre de poésie

ça t’aide

extraordinairement





tu vis seul

tu n’attends rien de concret

de la journée

excepté la communication rituelle sur le « cellulaire »

avec tes deux filles

sous la forme d’un sms

et aussi d’une photographie ou d’un film d’une minute

montrant le petit diable de 4 ans

en ses métamorphoses





tu vis seul

ce matin le livre de poésie

te fait un cadeau inespéré





alors il répète tout haut ce qu’il vient de lire :

on erre quelques saisons parmi les apparences

avant d’entrer dans la disparition*





*Jean Grosjean (1912-2006)

Cantilènes

L’amour des roses de la vie
voix paroles et musique
jean jacques dorio
accompagnement piano
léo cotten
pour obtenir le cd
faites en la demande à l »auteur
doriojeanjacques@gmail.com