ÊTRE À CHERCHE

ÊTRE À CHERCHE dit le dictionnaire est ne pas avoir de points au jeu Être à cherche d’un texte nouveau qui repart de zéro Dans la Recherche ce sont ces rares moments où l’on voit la nature telle qu’elle est, poétiquement Être à cherche d’une métaphore vive même dans ces moments où la vie ne tient plus qu’à un fil mais surtout pas celui des infos en continu : dans la chambre (de l’hôpital) ni télévision ni radio J’aurais eu le sentiment d’être envahi par les moustiques Désormais toute parole, toute phrase me faisait sentir son prix Ma mâchoire détruite avait une gueule de métaphore et ce n’était pas plus mal ainsi Les vivants et les morts bayent aux corneilles Les vivants et les morts à la fin s’évaporent 2 Ces rares moments où ce que l’on cherche vient sous la plume, poétiquement Ça se voit comme le nez au milieu de la figure, comme un courant d’air qui renouvelle nos pensées Mais le lendemain faut tout recommencer On a perdu son erre Les vivants et les morts plongés dans leur sommeil Les vivants et les morts ont de grandes dolors 2 Dolor et dolorisme : les pauvres nonnes en ont sué dans leurs draps-linceuls proches du suaire Ces pauvres fillettes forcées à se flageller avec les ronces de la vie Femme Vie Liberté cri de ralliement des sœurs d’Iran que les patriarches d’un Allah bourreau veulent soumettre la vie durant à la mort lente Allah Akbar cri des salopards qui ont fait exploser Wolinski et Cabu Allah Akbar Dieu est le plus grand des mécréants le plus grand des pourvoyeurs de monstres Allah Akbar ou bien le cri des Croisés massacrant et brûlant tous les habitants de Béziers : Tuez les tous Dieu reconnaîtra les siens Être à cherche de son passé hospitalier Soudain viennent me percuter les multiples opérations que je dus subir ma vie durant – Vous passez en premier M. Dorio Montaigne dont la santé était la plus précieuse des choses à laquelle s’employer (la volupté, la sagesse, la science et la vertu sans la santé se ternissent et s’évanouissent) n’en aurait pas fini de gloser si on lui avait ôté l’appendicite à 24 ans, la vésicule biliaire à 57, la prostate à 66  Mon sac à bile était trop lourd dans son liquide quatre cailloux jouaient aux billes Mon sac à bile –la vésicule- on l’a ôté Un chirurgien habile l’a découpé et puis donné au chat perdu qui rôde près des blocs opératoires C’est un chat blanc il faut bien ça pour absorber les maux multiples tous les calculs les drames accumulés dans les organes que l’on découpe suivant les pointillés Quant à moi maintenant ma bile en continu goûtera vers le duodénum Plus d’humeur verdâtre qui macère et empoisonne le petit bonhomme Délivré des soucis je vais pouvoir  chanter Verlaine et Boris Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur ma bile mais je ne m’en fais pas le soleil reviendra… clinique de Martigues 15/05/2002 04h37 1 Philippe Lançon 2 Raymond Queneau

JE NE SAIS PLUS

	Je ne sais plus si la haie d’aubépine était blanche ou rose.
	Je ne sais plus si après la pluie, mon parapluie refermé, je dis zut zut zut  ou  flic floc flac.
	Je ne sais plus si elle s’appelait Gilberte ou Albertine.
	Je ne sais plus qui a dit que ce serait un contre-sens complet que de réduire ma Recherche à une sorte de refuge dans le souvenir.
	Je ne sais plus qu’elle est donc cette chose qui, déjà triste dans le bonheur, reste heureuse dans la tristesse.
	Je ne sais plus si c’est Swann ou Madame Verdurin qui, un soir, me dit :  N’est-ce pas que c’est beau, cette Sonate de Vinteuil. 
	Mais maintenant je sais que cette fameuse sonate jouée dans l’obscurité,  pour mieux voir s’éclairer les choses, c’était, cent ans après c’est facile de le vérifier, la 14° de Beethoven.
Odette avec son accent imitable aurait dit, s’il vous plaît, rejouez-moi, Moonligth.  




LE ROMAN IMPRÉVISIBLE 4/5/6





quatre

-VOILÀ MA BELLE ÇA FAIT JUSTE UNE LIVRE D’IMPRÉVISIBLE, me dit le marchand de rêves et d’illusions référentielles.

-Un peu obscur, ma fille, cette entrée, me chapitrent Pierre, Paul et même Julia, la petite chèvre mutine d’une chanson tendre de Pierre Perret.

Mais, j’en rajoute un peu, insistant sur ce livre composé pour peser juste une livre. Cependant, nulle contrainte stricte oulipienne, c’est juste une expérience de pensée, une vue de l’esprit, Youpi !

-C’est nul maman, me dit mon fils âgé de 5 ans, à qui j’essaie de raconter à ma manière un secret de Polichinelle.

-Voilà ma belle, ça fait juste une livre de chichis, avec le papier soie, vous verrez, c’est à s’en mordre les doigts.





cinq

CETTE FEMME EST PLUSIEURS FEMMES À LA FOIS.

Ça m’est venu comme ça, mais je suis bien embarrassé par cette phrase. Embarazada, en espagnol ça veut dire « enceinte » ; mais justement cette femme-là, n’avait jamais voulu être « grosse » ; grossesse rimait pour elle avec ogresse.

« Moi, écrivait-elle, après ma mère, j’ai sauté mon tour ».

Mais sa vie, par contre, était ponctuée d’aventures jouissives. Sainte Pilule l’avait préservée de devoir élever un moutard ou une mouflette. Et sa famille, c’étaient ses chers personnages d’une certaine littérature, histoire, philosophie et Cie.

La liste était longue, mais elle citait volontiers, le funambule d’ Ainsi parlait Zarathoustra, l’acrobate qui ne voulait plus redescendre de son trapèze, de La vie mode d’emploi, la promeneuse solitaire à l’attention flottante, dans les contrées désertes ou dans les grandes villes ;  l’ingénue libertine, la musicienne libérée de la poussière des livres ; la folle du logis où logent les textes qu’il ne faut pas mettre entre toutes les mains ; les images sordides ou sublimes que l’on fait sonner sans raison.

Cette femme n’aurait pas aimé que j’écrive, du moins je le suppose, que parfois, elle ressemblait à « mon enfant, ma sœur ».

Chantal Thomas Nietzsche Perec Baudelaire





six

LE RÉCIT OSCILLE, un lecteur avisé l’a remarqué,  entre une narratrice à la première personne, parcourant, selon les pages, plusieurs âges de sa vie, tel un tourniquet, et un récit à la troisième personne, plongeant dans une fiction autobiographique assumée. Les noms de villes revisitées, comme on dit d’une pièce standard de jazz réinterprétée, se succèdent et s’interpénètrent, avec deux villes reines, Paris et New York. Quant aux lieux, inconnus pour la plupart du grand, mais non du petit, public, ils sont traversés comme autant de curiosités, illuminant nos horizons de lectures. C’est du moins l’impression que me donnent ces pages accompagnant mes insomnies.


	

S’il est impossible de voir « un kangourou tourner un moulin à café », il est encore possible de lire « la chanson du jardinier fou »









S’il est impossible de voir un kangourou tourner un moulin à café, il est encore possible de lire la chanson du jardinier fou, imaginée par Lewis Carroll et traduite de l’angliche.

S’il est impossibled’entendre la voix de Montaigne enregistrée sur bande magnétique, il est encore possible de le lire comme s’il parlait au papier.

S’il est impossible de sauver la planète bleue, il est encore possible de la peindre en vert.

S’il est impossible d’assister à son enterrement, il est encore possible d’en faire une répétition en invitant la fanfare des Quatr’z’arts.

S’il est impossible d’ouvrir la lame du couteau auquel il manque le manche, il est encore possible chaque dimanche d’offrir des roses blanches à sa jolie maman.

S’il est impossible que mes morts hâblent, il est encore possible, en utilisant une rime équivoquée,  d’écrire cet aphorisme mémorable.

S’il est impossible de coucher son malheur sur un cahier d’écolier, il est encore possible de se coucher bonne heure à la Recherche du temps perdu.