3 POÈMES POUR ET AVEC LA PRÉSENCE DE JEAN-MARIE CORBUSIER



J’ai lu une fois À RAS le dernier opus de Jean-Marie Corbusier sans prendre la moindre note.
Toutes ces pages, une à une, et aussi la lecture des pages en vis-à-vis, qui procurent quelques « chocs verbaux » salutaires.
Puis, relisant, « à sauts et à gambades », j’ai effacé le côté qui m'a paru désespérant de certains passages (Chanter/dans le vide des présences/faire semblant),
pour m’attacher au côté « allant », stimulant (Le mot frappé d’innocence/ défait à l’usage/ je l’aurai traversé).
Et puis soudain, surtout, la disposition et le rythme de chaque page m’a inspiré.
Je me suis souvenu alors du meilleur Éluard 1 et me suis lancé à mon tour dans une écriture, page à page,
« où la mémoire ardente se consume, pour recréer un délire sans passé » 1

1 Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. Les poètes ont toujours de grandes marges blanches,
de grandes marges de silence où la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé.
Paul Éluard


Poème
plus que lui-même
en son attente

nul ne témoigne
à se l'approprier
sans cause sans fin

ces quelques mots
laissés pour compte

à marquer l'air
à le manquer aussi

Jean-Marie Corbusier



1

JE ME SUIS PERDU
cette nuit
corps et âme

Aussi j’ai besoin
de l’écrire

de faire
cette expérience
de pensée

Sur la page
d’une tabula rasa

À ras
Pour repartir
d’un bon pied

À RAS
Jean-Marie Corbusier
Edition Le Taillis Pré
(vient de paraître)

2

Ce que j’écris me précède
Jean-Marie Corbusier
À Ras

CE QUE J’ÉCRIS
me renouvelle

m’éparpille
m’étincelle

Mais la page
veille

Son rythme
Sa présence

Sa passe
Son transfert

Et l’appel
des marges

3

Sans me retourner
Jean-Marie Corbusier
À Ras

SANS ME RETOURNER
le passé aboli

les pas d’Orphée
mais sans les cris
d’Eurydice

Ma lyre est
ma guitare sèche

d’où sortent
des chansons

enregistrées
au Petit Mas

Mes pages
de partitions
multiplient
les accords renversés

et battent toujours
la chamade


OÙ RESPIRER?
Mais dans le poème

Aérien
Libéré
Des tracas
Et des peines

La main
Sur le papier

La page écrite
Pour durer

Ou disparaître

JJ Dorio

PARLER DE RIEN









Parler de rien en se mordant la langue

En écrivant en vers cette petite prose





Parler de tout à son chat Archimède

Qui naquit à Syracuse à Pâques ou à Kairouan

Et chanter du Dimey

Un dix mai 68





Parler à Cohn Bendit

À Nanterre la Folie

Parler le nez en l’air

À Gavroche éternel

Mort sur la barricade

En sifflant tel l’oiseau

C’est la faute à Rousseau 





Parler et puis se taire

Faire ce pied de nez

À dame Camarde





 Sur les marches de la mort

Sur toutes les pages blanches

Écrire Liberté









Dimey Bernard est l’auteur de la chanson Syracuse

Mise en musique par Henri Salvador

Gavroche est la petite grande âme d’une scène des Misérables

écrite par Victor Hugo

Les deux derniers vers sont extraits de Liberté

De Paul Eluard

FAUT-IL SE MÉFIER DES MOTS





                Eluard voulait « tout dire », mais il en manquait. Mallarmé leur cédait, volontiers, l’initiative. Jaccottet a toujours eu la hantise de ne pas se faire leurrer par eux. Tardieu, Monsieur Jean, redoutait celui qui en aurait percé tous les secrets. La liste des amoureux ou contempteurs de mots est infinie, mais à la fin des fins, dans son atelier quotidien où l’on s’escrime avec eux, ça fait « taches de soleil, ou d’ombre » Philippe Jaccottet





taches de soleil ou d’ombre

BRINS D’OISIVETÉ





« On n’est jamais poète, ni lecteur de poèmes, sans un brin d’oisiveté »

Paul Eluard





Oiseau oisif picorant Serena

« Sirène que mer hante

Dans la tempête chante »

Un vers d’une anthologie

qu’Eluard composa





En le récrivant ainsi

IX siècles bien après

Voilà Sirène femme-poisson

Reprenant sens et son





Brassens qui avait des lettres

La mit dans sa Supplique

Chantant dans la tempête

Pour que sur la Corniche

Son corps fut enterré





Philippe de Thaun

Poète médiéval

File la métaphore

Moins badin plus sérieux





C’est que à cette époque

Fallait à la fin des fins

Tirer tout vers Dieu

Sirène était la diable





Le poème dès lors

Se finit aujourd’hui

Pour nous les mécréants

En queue de poisson





Fallait oser l’écrire