MA PETITE HISTOIRE





a croisé la grande





Mon grand-père est mort

aux premiers coups de fusil

tirés en quatorze

c’était pas par de la poudre aux moineaux

qu’il tirait depuis sa ferme de l’Ariège

pour les chasser de sa vigne

ou de ses blés

mais des balles réelles

qui l’ont percuté

ou peut-être un obus

qui l’a éclaté





Il s’appelait Bernard Jean Dorio

Il était né le 13 octobre 1888

Il mourut si j’en crois la fiche fournie par

memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr

le 1° novembre 1914

à Wytschaëte (sic)

en Belgique





On lui avait promis quand il partit

la fleur au fusil

qu’il reviendrait pour faire ses vendanges

Mais c'est son corps
Que l'on vendangea




Mon père Noël*

 n’avait pas 2 ans

Sa mère Daraut Eugénie

mourut bien vite

L’orphelin fut élevé par ses grands-parents

-qui avaient perdu 3 fils sur 4 !-

et fut déclaré pupille de la nation





Mais en 40

On n’évita pas au paternel

La seconde guerre





Comme lui aussi était paysan

On l’orienta prisonnier

Dans une ferme allemande





Mais dès 42

il s’évada

Il m’a raconté

et j’ai enregistré

tout ça





                                                                             Et mon autre grand-père ?         

ce fut un autre destin





Suite au prochain numéro

de ma minhistoria





*écoutez sa chanson

voix paroles et musique
JJ Dorio
studio Le petit mas
Martigues juillet 2019

TRAVERSÉE DU GUÉ

Traversée du gué
Passage des eaux
Fendre les flots
Avec Raymond Queneau


Ça nettoie bien sûr
De la saleté
De la boue de l'Histoire
Et de ses coups tordus
Traversée des écrits
Qui cherchent à sortir
Par le haut des conflits

Non le chant des Sirènes
Qui sèment l'anathème
Mais le don comme essai




Sur nos petits bateaux
Maman
Qui ont du cœur
Et puis des jambes

	

ATTENTION APPROPRIÉE





Attention appropriée

Formule des chercheurs

En science littérature poésie





Ainsi cette forme de poème

Que je creuse et remets

sur le métier





Comme si elle devenait

indépendante de mon identité





Mais ce n’est pas si simple

Mis en jeu le « je

comme un autre »

mis en abyme

coexiste

avec la langue en mouvement

et l’histoire

avec ou sans sa grande H





Attention appropriée

c’était celle assurément

de nos troubadours

qui de trobar leu en trobar clus*

inventèrent à leur manière

excusez du peu…

la courtoisie en amour









trobar leu : une forme accessible au sens commun

trobar clus : une forme « hermétique »

si l’on peut oser cet anachronisme

J’AI ÉCRIT TOUTE LA JOURNÉE

J'ai écrit toute la journée
une histoire qui s'est révélée
sans solution

J'ai écrit toute la journée
l'histoire d'un gardien de phrases
fantômes

J'ai écrit toute la journée
l'histoire d'un écrivain raté

J'ai écrit toute la journée
dans un café plein de miroirs
et de bruits d'œufs que les clients
cassent sur le zinc

J'ai écrit toute la journée
dans le chant des percolateurs
et des sirènes de New York

J'ai écrit toute la journée
passant d'un garçon
avec petite queue de cheval
à une serveuse en nœud papillon

J'ai écrit toute la journée
dans l'inconfort et l'intranquillité

J'ai écrit toute la journée
une histoire qui s'est révélée sans solution
mais qui m'a rendu au bout du conte
plus serein et plus léger

C’EST UNE LONGUE HISTOIRE

C’EST UNE LONGUE HISTOIRE

C’est une longue histoire. Anachronique, approximative, exemplaire, singulière, embrouillée, intranquille, incompréhensible ; elle est dans la main de celui qui l’écrit, à la lettre, la lie, dans le même temps, à mille manières qu’il a eu de se la raconter, en la lisant, comme si c’était la sienne, sur bien des livres inépuisables, inachevés ; en l’écoutant, cette longue, très longue histoire, dans bien des voix de plein vent, des comptines d’écoliers, des discours raffinés, des poèmes qui nous emportent dans la mémoire de nos oublis…

C’est ma propre histoire. J’y aiguise ma plume, au sens propre, depuis belle lurette, passages à l’acte quotidiens, sans plan, mais non sans attention particulière, sans lecteur, mais non sans souci de laisser libre cours à la vie qui va, qui passe, miroite, joue, jouit…et meurt. Amour, amor, la mort y mord.

C’est l’histoire banale d’une vie minuscule, mais écrite par celui-là même, qui, la désignant ainsi, s’en échappe, en rajoute, la diversifie ; rythmes et rimes, le plus souvent, dans la forme que déploient ses poèmes ; monologue pluriel où se mêlent le jeu jouissif du je et du tu, de l’il et de l’elle, du nous qui dénoue ; art d’exécution, dont on lance les flèches, qui jamais n’atteignent leur blanc, cette page sans cesse recommencée, que l’on croit naïvement faire vibrer, mais qui souvent se glace si on prend le temps de relecture.

C’est une drôle d’histoire quand même ; quand, même si, l’écrire ainsi tient du tourbillon, d’un attrait pour le changement de perspective, les hasards d’infimes découvertes par dissociation d’idées, petites équivoques par sauts et gambades que l’on ne sait sur quel pied danser. Une drôle d’histoire, issue d’un « drôle », un fils unique de petits paysans de l’Ariège, quand le mot « paysan » recouvrait encore un sens.

C’est une histoire criblée de silences et de citations sans guillemets, portée par le plaisir de ce tissage, pièce à pièce, d’une vie qui, comme dit le romancier, a coulé ; image du ruisseau devenu rivière, puis jeté dans ce fleuve qui, quel que soient ses méandres, atteint un jour, une heure, cette mer du mourir.

C’est une histoire vraie, c’est dire s’il est presque impossible d’en rendre compte ; mais « presque » ce n’est pas « rien », ce n’est pas le noir absolu qui recouvre les vies que l’on dit, à tort, ordinaires. C’est une histoire vraie, à laquelle je désire, malgré tout, croire ; jouer le jeu de qui la perd la gagne ; dans la magie d’un livre qui, à défaut de voir le jour, aura au moins une lectrice, experte et affectueuse, prenant le temps d’en parcourir les tenures et lopins, pour sauver ce qui peut l’être du passé, faisant de ses guenilles quotidiennes et de ses habits du dimanche, quelques présents de filiation et, qui sait, de transmission.

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