J’ÉCRIS opus 13





J’écris de bric et de troc
de titres de romans édités par Balland
le Seuil Albin Michel
Minuit et Calmann-Lévy

J’écris pour calmer l’ardeur à rechercher
L’homme à tête d’oiseaux, 
La femme Schibboletch,
L’enfant des grandes lessives

J’écris sans réveil, montre,
monstres marquant le temps des horloges
et qui font sommeiller la raison

J’écris d’un seul coup d’un seul
ou par à coups :
arrêts plus ou moins longs,
points morts et reprises

J’écris depuis peu aussi sur l’application Samsung Notes de mon smartphone,
premier texte devant l’exposition Zao Wou-Ki, à l’hôtel Caumont d’Aix en Provence :

l’animal l’animot le torrent de coulures les pattes de la lune la tête de Michaux […] bateau ivre à la Sainte Victoire le pin palpite sur la montagne de Cézanne saisie par un calligraphe octogénaire qui livre sans le savoir son dernier combat […]

J’écris conscient que moi aussi un jour ou plutôt une nuit je perdrais définitivement la voie

J’écris avec mon stylo fétiche V5 hi-tecpoint réfractaire à l’invention du baron Bic

J’écris ornithorynque pour voir ce que ça va donner sur le papier
(les internautes recherchent aussi échidnés, monotrème, wombat, castor, koala…)

J’écris « bec de canard cousu sur la fourrure d’un animal », comme l’écrivirent les scientifiques anglais découvrant le dessin du premier ornithorynque rencontré en Tasmanie, croyant qu’il s’agissait d’un canular

J’écris sans prétention aucune : orgueil, vanité, amour-propre, suffisance (je recopie lintern@ute)

J’écris pourtant comme s’il s’agissait de petits secrets échangés à la récré avec les élèves Perec, Montaigne, Mallarmé

J’écris imaginant les lettres échangées entre eux

J’écris à Jean Jacques Dorio comme si je m’appelais Marot

J’écris de haut en bas et quand j’ai atteint le bas, je referme les yeux et rêve de Rio de Janeiro































 




LA GAULEUSE DE VOIX

Gauler des noix comme des voix

qui tombent

une à une

Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une voix ?

Allons racontez-moi…





Mais avant de me raconter

Posez s’il vous plaît la faux sur vos genoux

Vous l’avez bien assez aiguisée comme ça

C’est le soir

La gauleuse de noix ne viendra plus

Allons dites-moi tout…





De l’autrefois et de l’aujourd’hui

Du bon vivant et de l’endeuillé

De la faucheuse que vous avez égarée

En lui donnant un de vos hétéronymes





Je m’appelle Clément

Lui avez-vous dit

Clément Marot

Celui pour qui

La mort n’y mord





CE N’EST PAS SI SIMPLE





Ce n’est pas si simple d’écrire cette vie

Luttant contre le vide du sommeil

Et son trop plein de rêves





Le vivant touche au mort dans son sommeil

Éveillé il touche au dormeur.

(une traduction d’Héraclite « l’Obscur »)





Vie et vide Somme et sommeil

Plume en son « plume »

Tout poète libre penseur

Sans la musique d’un vers n’est rien





La mort n’y mord

Blason merveilleux tissé par Clément Marot





Ce n’est pas si simple mais l’on essaie

De pièces sortant du four noires et ratées

Aux belles irisées





C’est la Voie

Forgée dans l’inachèvement systématique

Et ce commencement qui n’en finit pas

L’étrange formule qui nous tient éveillé

Et nous réanime


	

J’AIMERAIS MIEUX PAS





J’aimerais mieux pas t’écrire poème

Il fait trop triste dans mon cœur
Et trop de morts en moi se meuvent





J’aimerais mieux pas

Mais voilà c’est le paradoxe

Le premier vers hardi se pose

Sans que je l’y invite

Sur cette page qui se défend

Mais n’en peut mais





J’aimerais mieux pas j’aimerais passer

Mais comme une mécanique

Ma main magnétique continue

À Dada sur mon papier





Lors me retrouve bon gré mal gré

Poète dépourvu incapable d’interrompre

Ce labeur contrefait*





Et puis flûte ! Réflexion faite

Je dois à mon grand dam le constater

En faisant à contre cœur ce poème

Tristesse et douleurs ont passé





Il était temps de l’avouer





*allusion à Clément Marot

prince des Poètes





EMPLOI DU TEMPS





EMPLOI DU TEMPS, temps mort, temps perdu, temps retrouvé, ô temps suspens

ton vol, temps élastique, temps employé à ne rien faire, à faire l’enfant, à croquer

le marmot, danser le tango, tant va la cruche à l’eau, allo allo quelle nouvelle ?

lis donc Le Temps, le journal de Genève, le temps banquier, le temps banquette,

le temps boit l’eau de la fontaine, devant laquelle le poète Marot concourt, mourant

de soif, le temps court, le temps long, cours cours camarade, le vieux monde est

derrière toi, le temps sur la mer, toit tranquille, le temps des colombes de la paix,

le temps des assassins de la poésie, le temps des patatipatalis et des patatatipatalas,

le temps d’un alexandrin : si je parle du temps, c’est qu’il n’est déjà plus, il est temps

de boucler, cet exercice, ce laps où je n’ai pas vu le temps passer.





italiques : Lamartine, Queneau.