CAUCHEMARS PRÉFÉRÉS

manuscrit
premier jet
21/04/2020

« LE JARDIN RESTE OUVERT POUR CEUX QUI L’ONT AIMÉ »





Dans ses cauchemars préférés, un oxymore borgésien, il perd le contrôle de sa voiture, tête à queue, longue dérive près d’un précipice ou en surplomb d’une voie ferrée, tout ce qui dérobe dans sa conduite automobile.

Ou bien, il perd le contrôle d’une de ses classes au collège, soit qu’il ne sait plus bien le cours qu’il devait donner et dans quelle classe, soit qu’un élève le défiant, le chahut s’installe, comme on le voit à la chambre de nos députés, soit, plus rare mais tout aussi cauchemardesque, qu’il parle d’abondance mais ne comprend pas ce qu’il dit.

Ou bien, cauchemar préféré récurrent, il a perdu ses clés et ne peut entrer dans sa maison, il a égaré son petit sac dans un magasin, une librairie ou en l’oubliant sur la plage où il a l’habitude de faire de longues balades, mais aussi de s’asseoir longuement à l’abri d’un rocher en rêvant, il n’a plus sur lui ses papiers d’identité, ses cartes de paiement, bref tout le tremblement.

Des pertes, des pertes, des pertes.

Ou bien il s’agit de parcours erratiques, dans une ville qu’il ne reconnaît pas, assis sur le banc d’une place envahie par des chars ou bousculé au milieu d’un carnaval, qui au lieu de faire tourner joyeusement les têtes, les fait tomber dans la sciure.

Cette nuit cependant, ce fut tout autre chose. C’est ce qui d’ailleurs a provoqué ce texte improvisé qu’il a voulu bien confier au narrateur le plus fidèle de ses pensées, le dictaphone. Il avait gagné racontait-il, un concours littéraire, plus précisément de poésie, mais « par quelque méprise », puisqu’il n’y avait pas participé. Il avait, entre parenthèse, horreur de la chose. Mais bon, tant bien que mal, on l’avait hissé sur la scène où devant un micro balladeur (sic), il devait dire au mieux son poème (déclamer non, on n’était plus tout de même à l’époque où Apollinaire gravait dans la cire sous le po-ont mirabo-o cou-oule la saine). Mais sur scène, justement, ce fut soudain la pénombre, et bientôt l’obscure clarté. La petite feuille sur laquelle il avait recopié à la main, pour faire plus vrai, son essai, perdait ses traces et redevenait cette page blanche maudite des créateurs en panne d’inspiration.

C’est alors que le cauchemar préféré se transformait en rêve éveillé. Une main lumineuse écrivait pour lui, mot à mot, ligne à ligne, cette phrase magique qu’il dit, d’abord dans un murmure, balbuciendo, puis répéta de plus en plus vite, de plus en plus distinctement, avec forces variations, et qui mourut à la fin dans un chuchotement : le jardin reste ouvert pour ceux qui l’ont aimé…





la phrase est le dernier vers de Vainement un poème de Jacques Prévert.

L’ANCIEN JEU DES VERS

Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers

                          Apollinaire





J’oublie le jeu subtil des vers

Les saisons de l’amour et leurs flammes

Les yeux clos de l’hydre univers

Le paysage fleuri de l’âme





J’oublie les êtres que l’on crée

Simplement avec une plume

Ou sur l’ardoise d’un doigt de craie

Enfant des barres et clairs de lune





J’oublie ma petite science

Lignes réglées sur le papier

Panier d’osier qui se balance

Au gré des fruits du citronnier





J’oublie ainsi ici ailleurs

Dans le jardin décapité

Où tu ne viens plus me tendre

Tes lèvres matinales





Toi que je ne veux oublier

DANS MON JARDIN D’ÉDEN

Le monde va au pire
Je le lis sur ce livre
Au demeurant joyeux

Dans mon jardin d'Éden
C'est le jour des amandes
Qui rosissent au soleil

Un livre de lectures
Fait par un dyslexique
Qui marchait en lisant
Pour retrouver sa langue

Les martinets m'enchantent
Je laisse mes lectures
Et m'envole avec eux

C'est midi juste ciel
Un air frais sous l'azur
Ma mémoire vacille

J'abandonne ces lignes
Paradoxal bon heur
Je ne sais qu'ajouter









	

VERS LA FIN LE POÈTE

La poésie qui se prenait pour la parole en personne
quand elle n'était qu'un filet de voix
dans le tumulte du monde

Gérard Macé
Vers la fin le poète
qui n'a plus à mettre de gant
ni avec sa gloriole - son assurance mort -
ni avec son petit métier :
la recherche de la juste distance
entre le tournoiement des mots
et la caresse du monde

Vers la fin
à pleines mains
ou sans toucher à rien
le voilà qui arrache encore
un peu de terre de son jardin imparfait
les yeux fixés sur la voûte cosmique
et les lèvres buvant à la source
du jour nouveau

Happé
par ce désir de porter
le souffle d'une langue
qui le livrant à l'éphémère
le détache de toute prétention
mais non de l'utopie
présente dans tout poème

(À sauts et à gambades)