FANTAISIES ANACHRONIQUES

(notre vie étant si peu chronologique, interférant tant d’anachronismes dans la suite des jours) Marcel Proust





Je me souviens de Toto Laricot

et de Tata « La Risa« 

Je me souviens de la pipe de Magritte

et de celle du pape Pipu

Je me souviens de Marguerite Yourcenar

et de son Oeuvre au noir

Je me souviens de la Sardine qui a bouché le Vieux Port

et des enfants du Pirée

Je me souviens de Nicolas de Staël

du marteau et de la faucille des Stals

Je me souviens des pâtés d’encre sur le journal

qui protégeait la table de la cuisine

où je faisais mes devoirs d'écolier

et des saucisses qui pendaient au plafond

Je me souviens du petit loup percé d’une plume

et des Amours jaunes de Tristan

Je me souviens de la pèche à la baleine

et de tes beaux yeux bleus tu sais





Je me souviens de toi qui ne se souviens plus de rien

DIRE 1

DIRE 2

TROIS RONDES POUR FINIR LE CAHIER BLEU

FINIR LA RONDE

FINIR LA RONDE

Quand la maclotte ne fait plus sautiller les Fla les Fla les Flamandes

Finir la ronde des nostalgies Lucrèce Virgile éclairent ma page

Prédécesseurs et précurseurs qu’en réalité je n’ai jamais bien lu

Ainsi cette marge est inutile

Mais non la page

Où dansent mes derniers signes

JE ME DÉGUISE

JE ME DÉGUISE

Sous mes graphies tracées comme en hypnose

Il y a mon père et ses labours boustrophédons allers retours

Il y a ma mère qui était fière de son Jeannot qu’elle faisait beau comme un sou

Il y a maïdine grand-mère Germaine la seule qui m’appelait « Mic »

et qui touchait ma barbe noire pour s’assurer qu’elle n’était pas fausse

Il y a la chair des humbles dont personne ne parle longtemps après

180 SIGNES POUR TOI

CETTE DERNIÈRE

Elle est à toi 180 signes c’est pas beaucoup pour ceux qui s’aiment

C’est comme la chanson d’un québécois qui s’appelait – c’est pas croyable – DOR

Et moi pauvre de moi je n’ai plus qu’à ajouter IO ou plutôt Yo

C’est le yoyo de la Manic le titre de la chanson

Si vous saviez comme on s’y ennuie Mais en la chantant on fait renaître

180 fois nos amours mortes transfigurées

L’ANCIEN JEU DES VERS

Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers

                          Apollinaire





J’oublie le jeu subtil des vers

Les saisons de l’amour et leurs flammes

Les yeux clos de l’hydre univers

Le paysage fleuri de l’âme





J’oublie les êtres que l’on crée

Simplement avec une plume

Ou sur l’ardoise d’un doigt de craie

Enfant des barres et clairs de lune





J’oublie ma petite science

Lignes réglées sur le papier

Panier d’osier qui se balance

Au gré des fruits du citronnier





J’oublie ainsi ici ailleurs

Dans le jardin décapité

Où tu ne viens plus me tendre

Tes lèvres matinales





Toi que je ne veux oublier

TOI MON AUTRE MOI

TOI MON AUTRE MOI

Le Poète doit, selon un fragment retrouvé sur une tablette de l’Antiquité, conduire son lecteur de la fumée au feu.

*

JE NE SAIS QUE TE DIRE. L’aube affaiblie* avance sa plume, tu n’es plus là, mon autre moi, pour qui j’aimais à vivre.**

Il y aura quatre ans, jour pour jour, que celle qui s’appelait Josiane Dorio, s’éteignait.

Moi, je te cherche toujours. Je te lis dans Montaigne, Apollinaire et d’autres chers et chères amies disparues, mais ce n’est pas eux et ce n’est pas elles, mais moi seul qui suis l’archéologue obstiné de tes vies.

Car, comme nous tous, si l’on veut bien y être attentifs, nous avons, au cours de notre unique voyage, plusieurs vies, nous portons, sur la scène du monde, plusieurs masques, nous sommes, chemin faisant, plusieurs personnes qui recouvrent, saison après saison, notre enveloppe humaine.

Et ce que je te dis là, ce matin, dans la petite lueur de l’aube naissante, j’espère que d’autres que moi, pourront l’écrire un jour, à leur manière, selon la forme de leur récit et l’attention portée, non à la fumée de leurs vies, mais au feu qui les anime et les renouvelle.

*Paul Verlaine ( 30 mars 1844-8 janvier 1896)

** Philippe Desportes (1546-1606)

 Josiane Dorio (10 avril 1952-25 mai 2014)

*

 New York Astoria 35 th street 25 mai 2018